Gerson Aninie, 43 ans, et Steven Aninie, 45 ans, étaient présentés ce jour à l’audience des comparutions immédiates après avoir été confondus dans une enquête portant sur un trafic de stupéfiants protéiforme au village Saramaca de Sinnamary. Au terme d’un procès fleuve en contradictions pour les deux frères, ces derniers ont écopé d’une peine de deux ans de prison dont la moitié en sursis.
Crack, coke, cannabis… Une kyrielle de substances étaient revendues ou confectionnées dans cette petite maison informelle du village Saramaca à Sinnamary. Au cours de leurs procès, les deux frères identifiés comme étant à la tête d’un réseau de revente prospère n’en ont pas démordu : il s’agissait selon eux d’un commerce somme toute classique de revente de légumes et de poissons, dans ce village en partie occupé par des pêcheurs.
Trop peu, trop maigre pour la représentante du ministère public Marie-France Sauvagnac : « Comment vous expliquez que dans tout ce qui est dit dans les investigations des gendarmes, à aucun moment il ne soit évoqué une vente de légumes ou de poissons ? ». Traduites du Taki-taki, les explications des deux prévenus du jour n’ont laissé personne de marbre, quitte à faire sourire, leur ligne de défense était fondée sur la dénégation.
Mo News avait suivi en juillet la première audience en comparution immédiate au cours de laquelle les frères Aninie ont demandé le renvoi du procès. Rappel des faits.
Trafic sans frontières
Le dossier débute par l’audition d’un dénommé Fernando P., entendu par la gendarmerie le 13 octobre 2021. L’homme décrit plusieurs trafics de stupéfiants qui se dérouleraient sur la commune de Sinnamary. Il explique que le système de revente et de confection du crack est bien rôdé, les protagonistes s’approvisionnant au Suriname par le biais d’un intermédiaire.
Il indique ensuite que cette famille loge au village Saramaca, dans trois maisons distinctes, et reconnaît avoir acheté du cannabis à « Kiki », le surnom de Gerson Aninie dans le business. Le frère aîné, Steve, se voit plutôt brosser le portrait du « boss » qui quitte rarement le Suriname. Quand il crèche en pays voisin, ce dernier travaillerait en parallèle dans l’orpaillage.
En janvier 2022, quelque temps après cette première piste pour la gendarmerie, une audition sous couvert d’anonymat est autorisée par le Juge des Libertés et de la Détention (JLD). Un individu donne des précisions sur ce trafic dans la ville de Sinnamary.
Selon ses déclarations, les visites au domicile de la fratrie seraient régulières et le montant des ventes élevé, de 300 à 600 euros. Le troisième frère se fournirait au Suriname avec un certain Abraham et ferait office de fournisseur.
40 allées et venues en une journée
L’exploitation et la retranscription des conversations téléphoniques, sur WhatsApp (difficilement exploitable), permettent d’extirper peu d’éléments probants. Des conversations laconiques, où on parle de « 10 » de « 20 » et de petites sommes. Les gendarmes de la brigade de Sinnamary passent donc à l’action et installent une caméra de surveillance en face du domicile des frères Aninie. En une seule journée, près de 40 allées et venues sont relevées en direction de la maison familiale. La durée moyenne des visites est estimée à deux minutes. Fort de cette journée d’observation, les militaires auditionnent plusieurs consommateurs connus de leurs services.
Une opération de grande ampleur est finalement menée par la gendarmerie le 5 juillet 2022 et trois personnes sont interpellées. Disjointe, la procédure impliquant le troisième passera au tribunal dans les prochains mois.
Dans la chambre de Gerson Aninie, les enquêteurs découvrent un fusil, une baïonnette, 4 téléphones, des sachets en plastiques, une arme de poing et une arme d’épaule.
« Tous les jours, on vend du poisson. »
« Les caméras ne marchaient peut-être pas bien. Tous les jours, on vend du poisson. » estime ce dernier face au président de l’audience et ses deux assesseuses.
« Ce sont quand même des denrées alimentaires qui nécessitent qu’on voit des paquets. Comment vous expliquez que personne ne soit repartie avec un paquet ? » questionne la substitute du procureur.
« Je ne suis pas au courant de ça. » lui répond Gerson Aninie. Père de huit enfants, sans emploi et déjà condamné dans des affaires de stup’, le quadragénaire ricane quand le juge demande si Steven, aussi, n’a pas reconnu tous ses enfants.
Marie-France Sauvagnac rappelle à nouveau qu’elle n’est « pas convaincue » par le fait qu’ « on vienne nous expliquer aujourd’hui que ces personnes puissent venir acheter des denrées en aussi peu de temps ». La substitute du procureur requiert une peine de 2 ans d’emprisonnement ferme à l’encontre des deux frères.
Pour la défense des deux prévenus, une avocate du cabinet de Me Jérôme Gay, « les témoignages sont les seuls éléments probants qui permettent de les mettre en cause. » La robe noire rappelle d’ailleurs que l’audition qui a ouvert l’enquête est celle d’un autre trafiquant. Citant des déclarations contradictoires de plusieurs témoins auditionnés qui affirment que les deux frères ne font pas dans la revente de drogues, la défense demande la relaxe.
Le tribunal coupe la poire en deux et condamne les frères Aninie à deux ans d’emprisonnement dont un an assorti d’un sursis.