C’est du jamais vu dans l’histoire de la Guyane. Un trafic international de cocaïne a été démantelé l’an dernier au grand port maritime. 594 kilos de cocaïne étaient saisis dans un container en transit. Mais qu’en est-il de l’enquête un an après ? L’affaire a pris de l’ampleur. Désormais l’on parle de plus de 1 tonne de cocaïne pure, destinée aux marchés européens et chinois.
Révélations Mo News.
C’est une enquête hors norme qui vu le jour en juillet 2020. A l’époque, c’est un simple appel anonyme à la brigade de Matoury qui met la puce à l’oreille des enquêteurs. A ce moment-là, la gendarmerie mène quelques premières investigations, intriguée par l’annonce d’un gros marché qui serait sur le point de passer par le port. Plusieurs personnes sont pistées. Parmi elles, un certain Claude Domput, personnalité bien connue du GPMG, ancien responsable syndical de premier plan, toujours salarié, cadre, à la Somarig. Rapidement, très rapidement, les gendarmes vont avoir la conviction que la lettre n’était pas sortie de l’imaginaire d’une personne déçue ou vengeresse. Claude Domput multiplie les contacts : au grand port, place des Amandiers à Cayenne ou encore sur le parking du Family Plaza. Des rendez-vous brefs, furtifs, des échanges parfois de sacs. Les écoutes téléphoniques vont aussi permettre de se forger une intime conviction. Le procureur de la République de Cayenne, Samuel Finielz prend alors une décision qui va changer le cours de l’enquête. Il transfère le dossier à la GIR de Fort-de-France. L’antenne régionale d’enquête va prendre le relais sous l’égide du procureur de Fort-de-France Renaud Gaudeul. Sur place ici en Guyane, ce sont désormais les gendarmes mais aussi des enquêteurs de la GIR de Cayenne, de l’Ofast (Office antistupéfiants) Antilles-Guyane et de la DTPN (Direction territoriale de la police nationale) dont les douanes, qui mènent les investigations.
Un « gros coup »
L’ensemble des informations collectées a permis d’identifier tout d’abord un container puis une date. Une opération d’envergure, inédite, en Guyane est mise sur pied le 1er octobre au Grand Port Maritime. La souricière est en train d’être installée. Ce jeudi soir, le piège va se refermer sur ceux qui sont soupçonnés de préparer un « gros coup ». Le général de gendarmerie, le colonel Stéphane Bras est sur place. La préfecture est aussi dans la boucle. Il est un peu de 21 heures lorsque les militaires passent à l’action. Claude Domput et quatre autres personnes sont arrêtées alors que les forces de l’ordre retrouve un container est rempli de sacs de sports plein à craquer. A l’intérieur, on découvre des sachets de poudre blanche à profusion. Pour la forme, un des enquêteurs sur place fait comme dans les films. Il glisse l’index dedans, trempe son doigt, et le porte à sa bouche pour être sûr et certains de ce qu’il vient de voir : « oui c’est bien de la coke ». On compte, on pèse. Dans un premier temps, on parle de 514 kilos… puis après que quelques autres sacs soient découverts, le résultat final tombe. 594 kilos. Oui près de 600 kilos de cocaïne viennent d’être saisis. A minima, il y en a pour une trentaine de millions d’euros de marchandise. Et c’est de la cocaïne pure, non coupée. Imaginez le prix à la revente dans l’hexagone où le gramme s’écoule entre 60 et 80 euros, coupé qui plus est.
Une enquête gigantesque
Commence alors une enquête titanesque. Comme Mo News vous l’a révélé le samedi 27 novembre dernier, 4 nouvelles personnes ont été arrêtées et mises en examen dans ce dossier tentaculaire. Les arrestations ont eu lieu le mardi 23 novembre, mais les gardes à vue ont duré 4 jours puisqu’il s’agit de trafic en bande organisée et que l’on touche aux stupéfiants. La justice ne rigole pas avec ça. Surtout que depuis, la somme s’est alourdie. Les enquêteurs ont réussi à remonter 4 voyages pour un peu plus d’une tonne de cocaïne ! Le montant total dépasse à la fourchette les 50 millions d’euros ! Qui donc en Guyane pourrait se payer le luxe de payer autant de marchandise avant de l’avoir écoulée ? Ou même qu’une infime partie… Peu de monde estiment les enquêteurs, chez qui les différentes écoutes ordonnées par le juge d’instruction, vont apporter d’autres éléments de réponse. On a bien à faire à un trafic international, qui couvre 3 continents : l’Amérique du Sud, l’Europe et l’Asie. La drogue a transité par le Suriname. Aucun doute là-dessus. Différents acteurs du dossier ont réalisé plusieurs trajets entre la Guyane et son voisin de l’Ouest. Le donneur d’ordre est même dénoncé par l’un des mis en cause qui évoque un certains Oula qualifié par le suspect comme l’un « des plus grands trafiquants d’Amérique du Sud »…
Les protagonistes…
Certes le nom de Claude Domput a fuité dès le premier week-end d’octobre à travers les premiers articles de presse parus sur le sujet. Mais il est n’a pas le seul à avoir été suivi depuis de nombreuses semaines. Ho, Zaza, Pirate, Petit Frère, Big Man… autant de noms et de surnom, que l’on croirait sortie d’un bande-dessinée facile à lire. Et pourtant, derrière se cachent des noms parfois bien connus des enquêteurs, notamment des stups en Guyane. Derrière le surnom de Pirate se cache en réalité un certain Cicéron. Se sentant évincé du deal par Claude Domput, qui avait fait appel pendant les grandes vacances à des contacts surinamais, Steeve Cicéron aura plus de mansuétude pour parler une fois les interrogatoires lancés aux Antilles après son arrestation d’autant plus que Domput l’a chargé. Claude Domput faisait partie de la première fournée, arrêtée, placé en garde à vue, mise en examen et placé en détention provisoire à la prison de Schoelcher en Martinique. Une seconde fournée a lieu le 22 juin de cette année. Près de 9 mois après la première vague d’interpellation, quatre autres suspects sont arrêtés et envoyés eux aussi à Fort-de-France. Parmi elles, Serge Nugent, surnommé Zaza. On retrouve parmi les suspects identifiés Stenvrick MBenny, Steeve Cicéron, Leroy Pinas, David Sana et Grégory Pierre-Louis. Lors de la première vague en octobre 2020, Watson Petit-Frère, Ho Zung Ket Alex et Luckel Thervilus avaient aussi été mis en examen. Il en sera de même pour Henri-Claude Molba de Saint-Laurent et Jean-Pierre Alphonse de Mana étaient eux interpellés sur le front de l’ouest le 12 octobre de cette année.
Le volet chinois ou le blanchiment d’argent
Après les deux salves de 2021, les enquêteurs de la GIR ont obtenu de plus amples renseignements sur l’un des aspects de l’enquête qui leur manquait… le financement et les intermédiaires permettant de mettre sur pied un tel trafic. Des noms avaient bien circulé depuis plusieurs mois, mais rien ne permettait jusqu’alors d’avoir suffisamment de charge pour impliquer ces gens-là dans l’enquête. Bastien Kereneur… le petit frère de Sylvain Kereneur, arrêté en mai et placé depuis en détention pour le meurtre de Karina, une jeune brésilienne enceinte retrouvée morte en mai 2020 à côté de Cacao… il avait aussi été poursuivi, avant de bénéficier d’un non-lieu incompris par la famille de Camilla, un précédent meurtre qui remontait à 2006, et finalement de voir l’enquête en passe d’être rouverte après les aveux de ce dernier concernant Karina. Bastien Kereneur est surtout le fils de Philippe Kereneur, qui avec son épouse Fabienne ont créé l’entreprise qui gère le fret à l’aéroport international Félix Eboué depuis une dizaine d’années. Et désormais il fait partie de la direction. Et c’est à ce titre qu’il a intéressé les enquêteurs. Plusieurs éléments, dont des enregistrements de caméras de vidéo-surveillance et des enregistrements audios ont permis de le rattacher à certains des protagonistes. Bastien Kereneur a ainsi été aperçu en présence de deux des suspects (Alex Ho et David Sana) mis en examen sur le tarmac de l’aéroport international Félix-Eboué à Matoury, dans le cadre de l’entreprise de frêt. De là à imaginer que l’unique entreprise qui gère le frêt en Guyane ait pu servir dans le trafic ? Les enquêteurs semblent pencher dans cette direction et la procureure de Fort de France aussi puisqu’elle procèdera à sa mise en examen le 26 novembre à l’issue de sa garde à vue qui a eu lieu dans les locaux de la compagnie de gendarmerie de Matoury. Lui et les 3 protagonistes chinois interpellés n’ont pas été transférés sur Fort-de-France en raison des événements qui se produisent actuellement aux Antilles.
Les « 3 Chinois » de la bande sont des chefs d’entreprise installés sur l’agglomération de Cayenne. L’un d’eux a plusieurs sociétés, dont lui aussi deux restaurants bien connus de la place, Osaka et Wei Po à Cayenne. La dernière vague d’interpellation a permis d’identifier trois membres de la communauté : Huang Zhnogcheng, Mengbo Zhou et Philippe Li, et établi un rôle de blanchiment de l’argent dans ce trafic très important avec 270 000 euros récupérés en espèce lors des perquisitions. Au Suriname, puisque c’est par là qu’il faut regarder du côté des têtes de réseaux, le fameux Oula se trouve être un certain Raoul Anches, faisant l’objet d’une fiche Interpol aux Pays-Bas. D’autres interpellations pourraient avoir lieu dans les semaines et mois à venir. Au final, ce trafic a permis d’identifier des ramifications en Guyane, au Suriname, dans l’hexagone, aux Pays-Bas, en Espagne, en Autriche, en Belgique, au Maroc et en Chine. La quasi-totalité des mis en examen ont été placés sous contrôle judiciaire, comme Steeve Cicéron, Serge Nugent, Bastien Kereneur ou Zhou Mengbo qusont sous un strict contrôle judiciaire en Guyane. L’ensemble des personnes mises en examen sont toutes présumées innocentes.
Précision apportée le 14 décembre 2021 :
Dans l’article Mo News 40 en date du 9 décembre, intitulé « L’affaire du siècle », il est écrit dans le dernier paragraphe « le véritable organisateur a été désigné au Suriname par Steeve Ciceron et identifié comme étant Roméo Kanape ». Cette formulation est partiellement erronée. Si la tête de réseau est effectivement identifiée comme basée au Suriname, elle n’a pas été indiquée par Steeve Ciceron comme étant Roméo Kanape, individu déjà connu de longue date des autorités judiciaires françaises. Steeve Ciceron n’est pas, puisque cela aurait pu être perçu comme tel à la lecture de l’article, comme la « balance » de ce trafic international.