Entretien exclusif MO NEWS : Après une longue période de turbulences dans l’Église catholique, l’évêque Mgr Alain Ransay s’exprime pour la première fois sur les faits qui ont agité le diocèse ces derniers mois. Il revient notamment sur le départ des prêtres OMI (oblats de Marie immaculée) qui avait provoqué certaines crispations.
Vous avez été récemment l’objet de toutes sorte d’invectives, comment allez-vous aujourd’hui ?
Dès le moment de ma nomination comme évêque de Guyane, presque tout le monde m’avait prévenu que ce serait une mission très difficile. Cela m’avait un peu effrayé… C’est, sans doute, la raison pour laquelle, j’ai reçu dans la prière ma devise : « Ne crains pas, crois seulement ». Fort de cette parole, j’ai dit « Oui ! ». Et je ne le regrette aucunement aujourd’hui.
Et pour répondre à votre question, je vais bien et je suis très heureux d’être en Guyane et d’accomplir la mission qui m’a été confiée par le Seigneur à travers le Saint Père, le Pape François.
Pourquoi avez vous gardé le silence dans la tempête qu’a suscité le départ des OMI ?
C’est très simple ; si vous êtes un père de famille et que certains de vos fils disent publiquement du mal de vous, vous n’irez certainement pas sur la place publique pour en faire autant, n’est-ce pas ? Eh bien, c’est pour cela que j’ai gardé le silence et que je ne suis pas entré dans des polémiques.
Pourquoi prenez-vous la parole aujourd’hui ?
Parce que vous m’interrogez et je pense que vos questions sont légitimes. C’est aussi parce que nous sommes rendu à la fin de l’année pastorale et qu’il est normal qu’à cette période, je fasse un bilan de l’année écoulée avec mes diocésains.
En quoi le départ des prêtres OMI était-il si « urgent » ?
Ce n’est pas le départ des OMI qui était urgent, mais d’un OMI. Il s’agit d’un prêtre qui a été réduit à l’état laïc parce qu’il avait agressé sexuellement un jeune garçon âgé de 12 ans à l’époque des faits. En 2016, il a été condamné à 3 ans de prison, dont 18 mois avec sursis. Il résidait toujours à la maison des OMI y conservant des contacts avec les fidèles de façon très ambigüe, et jusqu’à, il y a quelques semaines, il s’y trouvait encore. J’ai demandé son départ dès le mois où j’ai pris ma charge, soit en février 2022. A la fin de ce même mois de février 2022, son supérieur Provincial l’a rappelé, mais il est resté dans la Maison de sa Congrégation à Montjoly.
Mais on a entendu sur les médias qu’il serait soumis à des obligations juridiques.
Le cabinet du Procureur m’a assuré que c’était totalement faux et, ce, depuis longtemps. Il est clair qu’ils sont mieux informés qu’aucun d’entre nous… Je rappelle que sa peine a été purgée en 2019.
Vous comprenez aisément que je ne pouvais pas accorder une caution d’Église à quelqu’un qui est fiché comme délinquant sexuel. En le maintenant dans une structure religieuse, j’aurais laissé s’installer une situation ambigüe dont l’individu aurait pu profiter. Cela n’était pas tolérable…
S’il y avait eu récidive, les gens qui me critiquent aujourd’hui seraient les mêmes qui m’accuseraient d’avoir mis en danger la vie des jeunes guyanais.
Et pour les autres ?
Écoutez, Je ne souhaite pas polémiquer sur les personnes -surtout celles qui sont ou ont été sous ma responsabilité.
Mais il y a un document qui circule sur les réseaux sociaux où vous dénoncez certains…
On m’a prêté ces propos… Puisque cela a été divulgué, je peux au moins vous indiquer qu’à Rome, afin d’amorcer au mieux un dialogue sur des sujets délicats, j’ai parlé, confidentiellement, seul à seul, à un cadre OMI de niveau mondial en anglais. Le moins que je puisse dire c’est ma démarche en vue d’une résolution pacifique des problèmes a été trahie, mes propos confidentiels ont été déformés, traduits en français, et répandus sur les réseaux sociaux. Je n’ai jamais endossé ni signé ces propos et les personnes qui les ont diffusées en sont les seuls responsables.
Si je vous ai parlé, aujourd’hui, du cas de ce religieux condamné comme prédateur sexuel, c’est parce que cela est déjà public… Mais cela me répugne de le faire. Par contre, je peux dire que, parmi ces prêtres, certains sont partis en bons termes avec moi et qu’à l’inverse les autres ont souhaité faire bloc autour du petit nombre qui me posait problème. Pour ceux qui sont partis en bons termes, je leur ai même dit que le diocèse leur restait ouvert.
Comment allez-vous les remplacer ?
Figurez-vous que les effectifs actuels sont comparables à ceux que Mgr Sankalé avaient laissés. Or le diocèse tournait normalement. Avez-vous remarqué que, globalement, les messes ont été assurées sans trop de difficultés depuis le départ de nos frères ? Bien sûr, avec les JMJ (journées mondiales de la jeunesse), 4 prêtres vont accompagner les jeunes à Lisbonne et, par ailleurs, d’autres partiront ou sont déjà partis en vacances ; par suite, ils y aura quelques célébrations présidées par nos frères diacres. Mais, de fait, les effectifs actuels de prêtres devraient nous permette d’assurer la plupart des besoins des fidèles en temps normal.
On dit que votre église s’est divisée avec toutes ces affaires, qu’en pensez-vous ?
Je pense que l’ensemble du peuple chrétien est très intelligent. Les croyants, dans leur très très grande majorité, ont compris que la seule chose qui compte pour moi, c’est le bien des âmes et de l’Église. Si vous saviez la quantité d’encouragements que je reçois d’eux !
Non, je n’ai pas le sentiment de division. Qu’il y aient quelques personnes qui ne comprennent pas ces départs parce qu’elles n’ont pas tous les éléments, c’est normal. Mais je ne ressens pas d’hostilité de la part de la population générale.
Comment comptez-vous remobiliser et redonner confiance aux fidèles ?
Coyez-vous que Jésus s’est posé ce genre de questions quand certains fidèles l’ont abandonné (Cf. Jn 6, 67 ) ? Non. Il a continué son chemin et cherchant à faire, en toute chose, la volonté du Père.
Moi aussi, je veux faire humblement ce que Dieu attend de moi, sachant que c’est le Seigneur lui-même qui fait et fera l’unité de son peuple.
Venons-en au bilan ; pastoralement, qu’est-ce qui a marqué cette année ?
J’ai pu continuer de visiter les paroisses du diocèse et approfondir la connaissance du peuple qui m’a été confié. J’ai prêché pas mal de retraites dans le cadre de la préparation aux sacrements de baptême, de confirmation et de mariage. J’ai présidé beaucoup de temps de consolations avec des personnes malades ou souffrant intérieurement…
Au niveau de l’Enseignement catholique, nous avons ré-instauré la catéchèse. J’ai alors eu la joie de baptiser de nombreux enfants et d’adolescents et d’accueillir avec bonheur une importante demande de première communion. Au total, de mémoire, 67 baptêmes et 136 premières communions ont été célébrées dans le cadre de l’Enseignement Catholique.
J’ai instauré un diplôme universitaire en théologie en lien avec l’Université Catholique de Lyon à l’intention des fidèles qui souhaitent approfondir leur connaissances religieuses. Cette année, il y a eu un cours de philosophie antique, un autre d’initiation à la Bible et mon cours de théologie morale fondamentale. Nous avions 83 inscrits et une bonne moitié a suivi quasiment tous les cours. En ce moment, je fais passer les examens finaux.
Il y a eu aussi l’ordination de deux prêtres et d’un diacre cette année, ce qui est une très bonne nouvelle pour notre diocèse.
Les finances sont-elles assainies ?
Les choses se sont beaucoup améliorées car nous avons baissé drastiquement nos dépenses -c’est clair pour les charges de personnel. Par ailleurs, nous avons essayé avec des résultats très encourageants dans quatre paroisses pilotes à doper le denier du culte. Cela nous a permis de stopper quelque peu la liquidation de nos biens. Nous restons un diocèse endetté, mais, si nous parvenons à maintenir ce qui nous est dû, en raison de tout ce que l’Église a fait et fait encore pour le développement de ce territoire (je veux parler de la participation de la CTG (Collectivité Territoriale de Guyane), quoique bien réduite au regard de ce qui existait auparavant, nous pourrons envisager de sortir de ce mauvais pas et d’être à l’avenir en mesure d’investir dans des réparations et des constructions. Par exemple, les habitants de Cogneau Lamirande se décarcassent pour construire leur église paroissiale et nous sommes bien en peine de les aider. La charpente de Maripasoula a besoin de sérieuses reprises, il y a des salles paroissiales à construire ou à réparer, etc.
Par ailleurs, je compte aussi développer l’Enseignement Catholique en construisant de nouveaux établissements car la demande des familles est bien plus importante que les places que nous avons à offrir -et pour cela, il faut aussi des moyens. Alors qu’en France l’Enseignement Catholique représente 20% du nombre d’élèves en Guyane, nous sommes autour de 6 à 7 %, et avec la croissance démographique annoncée nous allons tomber à 4 voire 3%, c’est vraiment trop peu ! En plus, ici en Guyane, nous ne sommes pas en concurrence avec l’enseignement public. Il y a de la place pour tout le monde. Pour preuve, à St Laurent, chaque année, 500 enfants dont les familles ont fait l’effort de venir les inscrire se voient refoulés faute de places. Est-ce que cela ne devrait pas nous briser le cœur ?
Un nouveau prêtre et un nouveau diacre ordonnés, est-ce le début d’une longue série ?
Dieu vous entende. Oui le 8 juillet 2023, j’ai eu la joie d’ordonner prêtre Ludovic ZÉRO et diacre en vue du sacerdoce Givenchy LAURENT son frère adoptif. Par ailleurs, j’avais déjà ordonné prêtre un veuf, le 16 avril dernier.
Cependant, il n’y a plus grand monde en formation pour être prêtre, toutefois, un jeune devrait rentrer au Séminaire en septembre et un autre en 2024. Après, c’est l’inconnu… Il est essentiel que la jeunesse qui grandit sur le sol guyanais, quelque soit ses origines ethniques, soit en mesure de prendre en charge, demain, le destin du territoire sur le plan politique, économique, culturel et ecclésial.
Quel est votre message pour la Guyane et les guyanais ?
Il n’y a rien de bon et de durable que l’on puisse obtenir dans la facilité. Cela est vrai dans tous les domaines. Je compte sur votre soutien courageux et vos prières pour que nos frères et nos sœurs vivant en Guyane puisse trouver le chemin de la vie éternelle. J’en profite pour remercier les catholiques mais aussi les frères et sœurs d’autres confessions chrétiennes qui, dans mes épreuves, se sont mobilisés pour prier pour moi et qui continuent à le faire. Merci de tout cœur…