Faute de moyens matériels suffisants et en raison des difficultés rencontrées pour régulariser un grand nombre de professionnels, la filière pêche peine à occuper les eaux guyanaises. Ce qui laisse plus de place aux pêcheurs illégaux. Un problème qui prend de l’ampleur, malgré la présence à « temps-plein » de la Marine nationale pour procéder aux contrôles.
Sous le parapluie médiatique de la visite de la collectivité territoriale à Paris, avec pour point d’orgue une rencontre avec le ministre de l’Intérieur et le ministre délégué aux Outre-mers, le comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Guyane (CRPMEM) a fait entendre sa voix auprès de l’Etat français. À l’ordre du jour : l’occupation des eaux guyanaises par des pêcheurs illégaux, qui n’en finit pas de prendre de l’ampleur et les problématiques propres à la filière Guyanaise. Troisième secteur économique du péyi (près de 2500 emplois directs et indirects), la pêche en Guyane vit des heures sombres. « On est passé de 500 marins pêcheurs à une centaine aujourd’hui » résume Léonard Raghnaught, président du CRPMEM. Le déplacement dans l’hexagone du comité donnait suite à une précédente réunion de crise à la collectivité territoriale de Guyane. Selon le comité, des dizaines de dossiers de régularisation de marins-pêcheurs sont en souffrance.
« Le serpent qui se mord la queue »
En 2021, le plan de compensation des surcoûts de la filière pêche et aquacole proclamait des mesures « d’assistance » à la mise en place des déclarations sociales nominatives, dispositif numérique qui supplante à l’ensemble des déclarations sociales et fiscales. « Depuis le 1 er janvier 2021, les embarquements ne sont plus signalés à la direction de la mer comme ça se faisait avant. C’est maintenant dans un programme qui est lié à l’URSSAF et la sécurité sociale des marins. » nous explique le CRPMEM.
La méconnaissance des logiciels de paie et le manque de ressources empêchent les pêcheurs de s’acquitter de leurs démarches administratives. De surcroît, selon le comité, le manque à gagner des pêcheurs licenciés, causé par la pêche illégale, oblige les professionnels à passer des jours supplémentaires en mer, ce qui entraîne des charges cumulées et de nouvelles difficultés pour naviguer avec les attestations fiscales et sociales en règle.
« C’est le serpent qui se mord la queue », souligne Léonard Ragnaught, déplorant le manque d’accompagnement de l’administration. « Avant, ils [l’administration] avaient quelqu’un qui saisissait les rôles d’équipage, les imprimait et les donnait à l’armateur. Ça n’existe plus, puisque personne ne veut travailler. » déplore Tony Nalovic, ingénieur halieutique au comité.
Le renouvellement de la flotte
La ressource est-elle pour autant « happée » par les pêcheurs illégaux, en provenance du Venezuela, du Brésil, du Suriname ou encore du Guyana, empêchant ainsi tout espoir de survie ? Selon le dernier rapport en date de l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer, deux tiers des ressources halieutiques dans les eaux guyanais sont captées illégalement. La prochaine étude de l’institut va conditionner les financements accordés pour le renouvellement de la flotte en Guyane. En déclin, cette dernière ne compte plus qu’une quinzaine de chalutiers, dont « 4 ou 5 prennent la mer » d’après Léonard Raghnaught. Dans les années ’80, on en recensait une centaine, pour un produit de pêche équivalent à 4 000 tonnes par an.
« Les services de l’Etat étaient choqués d’apprendre que des bateaux étaient posés à quai. Ça confirme qu’ils ont bien une image fictive de tout ce qui se passe en Guyane. Ils se vantent de faire 300 jours de mer, je les ai invités à voir les conditions de travail sur le terrain. » tonne le président du comité. Un conseiller du ministre délégué aux Outre-mers est attendu sur le territoire à la mi-novembre, il devrait embarquer dans les eaux guyanaises et rencontrer les principaux acteurs de la filière en Guyane.
Quels moyens pour lutter contre la pêche illégale en Guyane ?
Mo News a interrogé le commandant de zone maritime Laurent Martin, en Guyane depuis le mois de juillet 2021. Laurent Martin nous a donc décliné les actions des forces armées et de l’État en mer. « L’ensemble des moyens maritimes effectue à peu près 300 jours de mer par an. Ce qui couvre quasiment la totalité de l’année. J’ai en permanence un moyen, voire deux, sur l’eau, dans la zone économique exclusive . » assure-t-il.
Le commandant de zone maritime Laurent Martin.
Les moyens de l’Etat en mer
Dans les eaux guyanaises, les missions de l’Etat et des forces armées en Guyane sont variées. De la police des pêches à la protection de l’environnement, en passant par les contrôles réglementaires, revenons sur les principales prérogatives régaliennes en vigueur.
Les vedettes de surveillance maritime de la gendarmerie.
Gendarmerie : deux vedettes de surveillance maritime, basées à Cayenne et à Kourou, peuvent naviguer dans les eaux jusqu’à 20 nautiques au nord (soit environ 40 km). Elles sont souvent accompagnées d’une embarcation remonte-filet, appelée « Caouanne » pendant leurs opérations.
Les affaires maritimes, l’administration maritime française, dispose également de 4 vedettes de surveillance. Deux sont présentes à Saint-Laurent du Maroni, 2 autres sont basées à Cayenne.
La vedette des douanes.
Les douanes, amenées à contrôler les flux de marchandises qui transitent par la mer, disposent d’une vedette, la DF 39, qui a récemment remplacé la DF45. « Ils contrôlent tous les flux de marchandise sur l’eau, le trafic illicite en fait partie . » précise le commandant Laurent Martin.
Deux patrouilleurs, « La Résolue » et « La Confiance », des unités de la Marine Nationale, sont parés à réaliser des missions au large de la Guyane, ce sont des moyens dits « hauturiers » de l’action de l’Etat en mer, « car la taille des bâtiments permet d’épauler la mer » souligne le commandant.
Mais à quelle fréquence les moyens dont dispose l’Etat en mer procèdent-ils à des déroutages ? Comment freiner un phénomène qui paraît inexorable ? « La première action de lutte, c’est de saisir les apparents, les filets et de rejeter le poisson. Ce qui coûte cher aux pêcheurs . » fait valoir le commandant Laurent Martin. Sur la seule année 2022, 11 bateaux brésiliens ont été déroutés à l’Est, 9 autres ont été détruits. L’année passée, 90 procès-verbaux de constations ont été dressés côté Brésil, 70 côté Suriname. Ce qui dessine, en filigrane, la physionomie de la pêche INN (non déclarée et non réglementée) en Guyane.
De nouvelles dérives
À l’Est, à proximité de nos côtes, les pêcheurs illégaux ne s’éloignent pas de la frontière maritime avec le Brésil, constate Laurent Martin. Leurs bateaux font une quinzaine de mètres et comptent une vingtaine de membres d’équipage, employant des longs filets, capables de capter le poisson en masse. « Quelques pêcheurs brésiliens arrivent à se cacher dans l’Approuague ou la mangrove, mais en général les pêcheurs brésiliens restent à une dizaine de nautiques [environ 20 km] des côtes » poursuit-il. Plus au nord, sur le tombant, à 60-70 nautiques (120-140 km), les eaux sont riches en Vivaneau et en Thazard. Dans cette zone-là, certains pêcheurs vénézuéliens sont dits « légaux ». Une soixantaine de licences communautaires sont en effet accordées aux pêcheurs vénézuéliens dans les eaux Guyanaises. Ces derniers ont obligation de débarquer 75 % de leur pêche à Cayenne.
Une exception, qui laisse libre cours à de nouvelles dérives. « Des pêcheurs viennent sans licence et récupèrent du vivaneau des licenciés en le transbordant pour ensuite le débarquer à Cayenne. » rapporte le commandant Laurent Martin. Un tour de passe-passe difficile à empêcher ou contrôler après coup, car ceux qui s’y prêtent ne remplissent pas leur journal de pêche, la déclaration des captures et débarquement. « On n’a pas observé de transbordement, mais on est certain qu’ils le font parce que parfois, au cours des survols, on voit des bateaux côte-à-côte. La difficulté, c’est que vous pouvez caractériser une infraction en vol, relever l’immatriculation, en revanche pour la constater et mettre en œuvre l’action pénale, il faut que quelqu’un monte à bord. Il faut qu’il y ait une conjonction des moyens aériens et maritimes, ce qui est compliqué. » reconnaît le commandant, qui a passé 15 ans dans les commandos marine, les forces spéciales de la Marine nationale française.
Un panorama qui change du tout au tout côté Suriname, où les pêcheurs qui viennent sans licence de pêche – comprendre : des bateaux étrangers – restent plusieurs jours, posent leurs filets, font leurs stocks et rentrent chez eux. Ils ont pour la plupart de petites embarcations, avec un tirant d’eau très faible, plus propice pour rentrer dans la mangrove, davantage praticable en comparaison avec celle de l’Est. Le nombre de membres à bords est en moyenne de 4 ou 5 marins. Ces bateaux viennent majoritairement du Suriname et du Guyana. « Il y en a beaucoup » assure le commandant.
Lors de son dernier survol du littoral entre Cayenne et Saint-Laurent du Maroni, le WWF (Fonds Mondial Pour la Nature) a recensé près de 29 tapouilles sur le littoral guyanais, quatre de plus qu’au cours du précédent vol. Un constat implacable, rappelé par le CRPMEM au cours du temps d’échange avec les ministres. « L’Etat a proposé de mettre en place des garde-jurés, des civils chargés de faire les constats de l’Etat français à Iracoubo. Ce que l’Etat propose, c’est qu’on finance par la CTG des jeunes Guyanais qui seront garde-jurés assermentés . » abonde-t-on au CRPMEM. Une proposition jugée déraisonnable par les représentants de la filière pêche au regard des moyens dont dispose les pêcheurs illégaux.
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