INTERVIEW PUBLIEE LE 10 JUIN 2021 DANS MO NEWS. Sylvain Kereneur, suspect principal, qui a reconnu la mort de Karina en mai 2020, est-il aussi responsable de la mort de Camila Marques Pereira, retrouvée morte brûlée en 2006, à l’âge de 19 ans, sur la commune de Matoury. Tout le monde se pose la question aujourd’hui à haute voix, mais certains avaient déjà cette certitude depuis des années. Sylvain Kereneur avait été arrêté, placé en détention, avant de finalement bénéficier d’un non-lieu, et de ne donc pas comparaître devant aux assises. Alors que s’est-il passé entre fin 2010 et fin 2015 au niveau de la justice en Guyane ? Plus de 10 après son entrée dans le dossier Kereneur/Camila, maître Alex Leblanc rompt le silence. Pour Mo News, l’avocat guyanais décide de dire tout haut ce qu’il s’était refusé de dire jusque-là : ses doutes, ses incompréhensions, mais aussi son amertume d’avoir vu une nouvelle vie de perdue. Alex Leblanc a toujours confiance en la justice, plus que jamais, et il annonce qu’il est « plus que jamais prêt à repartir au combat » auprès de la famille de la mère du seul fils qu’a eu Sylvain Kereneur, avec S.T., qui a depuis quitté la Guyane. Une femme qui ne s’est jamais rétractée et qui avait détaillé aux enquêteurs, comment elle avait aidé « sous la menace » à déplacer et se débarrasser du cadavre de Camila Marques Pereira. Des propos qui sont inscrits dans la procédure, qui malgré ces déclarations répétées, avait abouti à un non-lieu, et donc à l’abandon de toutes les poursuites contre Sylvain Kereneur. Entretien.
L’ordonnance de non-lieu de 2015 signifiait quoi exactement ?
Ça veut dire tout simplement qu’il n’y a pas de charge suffisante dans un dossier pour renvoyer quelqu’un devant un tribunal, devant une cour d’assise. Dans l’affaire Kereneur la chambre des appels correctionnels, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a décidé à l’époque de ne pas envoyer Sylvain Kereneur devant la Cour d’assise. Alors que le juge d’instruction chargée du dossier avait estimé qu’il y avait des charges suffisantes. A titre personnel, même si je tiens à la présomption d’innocence, je pense qu’il y avait des éléments suffisant pour le renvoyer devant la Cour d’Assise.
Quels sont les éléments à l’époque qui étaient, selon vous, suffisants pour poursuivre ?
Il y avait déjà la reconstitution. J’étais présent à la reconstitution où notre Garde des Sceaux actuel a fait son show habituel, plein de mépris envers ma cliente. Mais au-delà de ça, la reconstitution a démontré que c’était possible de transporter sur un 50cm3, un cadavre avec trois personnes. Il y avait aussi les déclarations de ma cliente, l’ex de Sylvain Kereneur. Il y avait aussi les éléments du dossier qui montraient que Sylvain Kereneur avait, rencontré la victime, la veille, et le jour des faits, l’avait reconduit chez elle.
Pourquoi ?
Parce qu’au final on ne s’est jamais intéressé à l’auteur. Et surtout ce qui est le plus embêtant c’est qu’on n’a jamais fait de pourvoi en cassation contre cette décision curieuse de la Chambre de l’instruction.
Quels sont les points communs, entre les affaires Karina et l’affaire Camilla ?
Les points de convergence c’est ce qu’on appelle le mode opératoire ou modus operandi entre les deux crimes. C’est l’étranglement. C’est encore le fait que les deux victimes ont le même profil, que les corps aient été retrouvés, en partie calcinés, en forêt. Après il y a des enquêteurs, dont la police scientifique, qui ont fait un travail formidable. On l’a encore vu dans la seconde affaire. La seule chose que je souhaite pour les familles c’est qu’on puisse rouvrir la première affaire, qui a fait l’objet d’un non-lieu.
Pour qu’une enquête soit ré-ouverte il faut qu’il y ait des éléments nouveaux c’est ça ? On y est maintenant ?
Il faut qu’il y ait des éléments nouveaux éventuellement, un propos nouveau, parce qu’il a toujours dit qu’il connaissait la victime, qu’il l’a ramené chez elle, mais il n’a jamais avoué. Mais il y a tellement de choses graves qui se sont passées. Des atteintes à la procédure. Vous savez que quand Sylvain Kereneur est placé en garde à vue la première fois en novembre 2010, des personnes l’ont laissé parler à son père au téléphone. On était en pleine garde à vue ! C’est du jamais vue. Le problème c’est qu’il n’y a jamais eu d’enquête sur ce fiasco.
Vous parlez de fiasco ?
C’est un fiasco au niveau de l’enquête elle-même et c’est un fiasco judiciaire. Je crois qu’il faudrait peut-être aller interroger les juges d’instructions de l’époque, les chargés d’enquête, mais aussi les magistrats qui ont ordonné le non-lieu. Je pense qu’il y aurait eu dû y avoir une enquête du parquet sur les violations graves et réitérées des secrets de l’enquête et de l’instruction et même des rapprochements extrêmement curieux entre avocats, magistrats sur cette affaire-là. Il est là le scandale judiciaire. C’est l’absence d’enquête.
Vous pensez que cette affaire sera un jour résolue ?
Cette enquête peut et doit reprendre aujourd’hui. La prescription est de 10 ans pour un crime. Mais il y a eu des actes d’instruction jusqu’en 2015, donc le délai est repoussé je pense jusqu’en 2025. Et les aveux de Sylvain Kereneur concernant la mort de Karina et tous les points communs entre les deux crimes ne peut plus laisser la moindre hésitation. Mais auront-ils le courage de le faire ? Cette histoire met en cause trop de gens.