« Starboy JP », administrateur d’un groupe WhatsApp consacré au recrutement de « mules », a été condamné ce lundi 31 octobre à cinq ans de prison dont quatre fermes. Retour sur une enquête fleuve, qui a levé le voile sur un véritable « supermarché » de l’illicite par le biais de la messagerie en Guyane.
Dans la guerre contre la drogue, un autre front est en train de progressivement se développer, au fil des enquêtes et des longues procédures. Avec la dématérialisation, les trafiquants rusent et usent de plus en plus des applications que nous utilisons au quotidien, WhatsApp entre autres. Un phénomène déjà mis en exergue avec le démantèlement d’un trafic d’armes qui se développait via la messagerie, donnant suite à une pluie de condamnations au début du mois de juillet.
Ce lundi, Jean-Philippe G., alias « Starboy JP » sur l’application, comparaissait devant les juges, après un premier renvoi de son dossier à la mi-octobre. Âgé de 20 ans, fort d’un casier judiciaire vierge, il est présenté aux juges à la suite d’une longue procédure qui a conduit à son arrestation.
Le jeune homme, résidant à Balata, est notamment poursuivi pour « participation à un groupement formé en vue de la préparation d’un ou plusieurs délits punis de 10 ans d’emprisonnement », « association de malfaiteurs » ou encore « complicité de détention et d’acquisition de stupéfiants ». Du mois de novembre 2021 au 30 septembre 2022 (la période de prévention), il était administrateur d’un groupe WhatsApp dont le nom ne faisait guère planer de mystères (« Groupe voyage coco Guyane à Orly ») et par l’intermédiaire duquel des mules étaient recrutées.
C’est en tout cas ce qu’un faisceau d’indices, retranscrits dans les pages d’une vaste enquête, tend à démontrer.
Le 21 février 2022, un renseignement parvient aux services de l’OFAST, agence française chargée de coordonner la lutte contre le trafic de stupéfiants, concernant un groupe WhatsApp nommé « Groupe voyage coco Guyane à Orly ». « Bienvenue dans le meilleur réseau, tu te fais plus de 15 000 euros de Guyane à Orly » peut-on lire dans les quelques lignes qui font figure de descriptif. « Starboy-JP » apparaît comme étant l’administrateur dudit groupe.
L’administrateur était au RSMA
Au cours de l’enquête, le numéro de ce pseudo est confondu avec celui de Jean-Philippe G., dont le téléphone borne régulièrement à Matoury. Les enquêteurs croisent ce premier renseignement en auditionnant une personne qui explique avoir été « démarchée » pour un trafic de stupéfiants dont elle s’est rétractée. Insistant et loquace en même temps, son interlocuteur n’y va pas avec des pincettes, propose ses « services » et ses contacts, puis supprime ses messages. Il redirige les personnes qui le sollicitent et qui se disent prêtes à prendre part au trafic vers un autre contact, « Samouche 973 » de son pseudo.
Quelques mois plus tard, après d’autres recoupements, le téléphone de Jean-Philippe G. ne borne plus à Matoury, mais au RSMA de Saint-Jean du Maroni. Jean-Philippe G. y est inscrit depuis mars 2022 en tant que peintre en bâtiment. Fin septembre, le jeune homme est interpellé dans sa chambre, au régiment, où deux portables sont retrouvés. Après analyse des mobiles, il apparaît que le Matourien était en réalité administrateur d’une multitude de groupes, dans lesquels les participants se voient proposer des armes, de l’or, ou encore des haches. « Un supermarché de l’illégalité en Guyane » dans les mots de la substitut du procureur.
Entendu à 6 reprises pendant sa garde à vue, Jean-Philippe G. nie dans un premier temps toute implication dans un trafic de stupéfiants. « J’ai juste créé les groupes parce que je m’ennuyais, c’était juste comme ça. » commente-t-il à la barre de l’audience ce lundi. « On a quand même beaucoup de mal à y croire. Des messages sont beaucoup plus qu’éloquents sur votre participation dans les propositions qui sont faites. On va au-delà de tromper l’ennui, on est dans de la proposition concrète. » répond la présidente de l’audience.
Fluet, le prévenu termine toutes ses déclarations lapidaires par un « Madame la juge ». Sur sa page Instagram, il indique appartenir à la B13, un gang. « Est-ce que vous appartenez à la B13 ? » questionne la juge dans ce sens. « Non, madame la juge, je vais à l’Église » lâche le vingtenaire. Il désavoue inlassablement, face aux trois juges et à la parquetière, sa participation au recrutement des mules qui transportent de la cocaïne entre la Guyane et l’hexagone.
« Hameçonnage »
« Je ne sais pas pourquoi M. G. s’évertue à nier l’évidence. J’ai une petite idée : il appartient à un gang et dans un gang, on tue si on balance… Quitte à passer pour le dernier des idiots quand on répond aux questions. » révoque en doute le ministère public. Et d’ajouter, en prenant en compte le côté « marketing » de l’entreprise dématérialisée : « il fait de l’hameçonnage, comme toutes les sociétés téléphoniques, il va vendre son produit. M. G. oriente son commanditaire et va, pour certains clients, assurer le suivi. M. G. fait partie de ceux qui profitent du système. M. G., il fait ça comme on vendrait des cacahuètes, il ne voit pas du tout le problème. »
La représentante de la société a requis cinq ans d’emprisonnement, dont un an assorti d’un sursis probatoire de deux années à l’encontre de l’administrateur WhatsApp, ainsi qu’une interdiction de la fonction publique et 3 000 euros d’amende.
Pour Me Rozenberg, à la défense, tout est une affaire de contextualisation : « c’est assez rare de voir des gens qui appartiennent à des gangs aller au RSMA, ce n’est pas un grand narcotrafiquant » assure la robe noire.
Dans sa décision, le tribunal a suivi à la lettre la demande du parquet, remplaçant l’interdiction de la fonction publique par une interdiction de séjour à l’aéroport Felix-Eboué pendant cinq ans.
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