Le président de la Collectivité territoriale de Guyane, Gabriel Serville, nous a reçu ce mardi pour faire le point sur la situation actuelle des sinistrés du Mont-Baduel. Entretien.
Aujourd’hui, quel constat faites-vous de la situation avec les sinistrés du Mont-Baduel ?
Il est important pour moi de remettre les choses dans leur contexte. On parle de 309 familles, 500 jeunes qui, pour beaucoup, sont scolarisés. Ce n’est pas rien. En ce moment, la Guyane fait face à une crise humanitaire d’une rare ampleur, jamais connue jusqu’à maintenant. La Guyane n’a pas les moyens de faire face seule à un certain nombre d’obligations. C’est pour ça que je considère que l’État doit absolument se positionner.
Plusieurs questions demeurent, notamment sur la situation des femmes et des enfants qui dorment encore dans les gymnases. Le 16 août prochain, seront-ils également évacués comme ça a été le cas pour les hommes à Kapel ce lundi ?
Je n’arrive pas à imaginer que ces personnes se retrouvent comme ça à la rue. Je ne sais pas si les personnes qui parlent de ça réalisent la catastrophe humanitaire que ça peut être. C’est pour ça que j’ai dit au préfet et au directeur du cabinet du président de la République que je serais ferme sur ma volonté de faire appel à l’État et qu’il actionne les outils dont nous avons besoin.
Si l’État s’engage à actionner ces différents leviers, je suis prêt à dire qu’on va mettre un moratoire sur la date butoir à laquelle les gymnases doivent être libérés.
C’est-à-dire que vous pourrez accorder un délai supplémentaire pour la libération des gymnases ?
Il est nécessaire de permettre aux entreprises de travailler pour livrer les équipements sportifs pour la rentrée des classes. Cependant, je ne veux pas que l’État prenne cela comme un motif pour dire que c’est le président de la CTG qui a demandé qu’on mette les gens dehors !
S’il faut reporter cette date, je la reporterai sans difficulté, mais je ne veux pas le faire pour faire plaisir à l’État.
Maintenant je dis à l’État que c’est de sa responsabilité : C’est vous qui n’avez pas contrôlé les frontières, c’est vous qui n’avez pas géré les flux migratoires, c’est vous qui n’avez pas réussi à préserver l’intégrité de votre territoire, car, comme le dit l’article 5 de la Constitution, le président de la République est garant des institutions, des équilibres du territoire, du respect des traités… Il n’y a de responsabilités qui n’ont pas été assumées au départ par l’État ; il ne faudrait pas que les conséquences soient assumées par les collectivités. Je veux que l’État se positionne et prenne ses responsabilités.
Comment l’État doit-il se positionner ?
Ce qui se passe en ce moment, ce n’est pas qu’une simple crise touchant des personnes en situation irrégulière, mais ce sont vraiment des personnes qui sont aujourd’hui demandeurs d’asile pour une grande majorité. Donc, pour moi, l’État est impliqué à deux niveaux.
Le premier niveau, c’est la gestion des flux migratoires et le contrôle des frontières, qui n’ont pas été assurés correctement. Le second niveau concerne les engagements internationaux que la France a ratifiés, notamment à travers la Convention de Genève de 1951. C’est pour ça que j’ai souvent dit que le droit d’asile ne relève pas d’un bon sentiment, mais d’un cadre juridique strict et bien précis.
Selon vous, que faudrait-il mettre en place pour faire face à cette situation ?
À cette situation exceptionnelle, il faut que l’État et l’Union Européenne apportent des réponses d’envergure exceptionnelle. Ce matin, je l’ai dit au préfet et au directeur du cabinet du président de la République : j’exige qu’on puisse déclencher, dans les plus brefs délais, un plan ORSEC (organisation de la réponse de sécurité civile) hébergement, dont les modalités vont être discutées entre nous. J’estime qu’on n’a pas besoin de trois semaines, un mois pour déclencher ce dispositif.
Cependant, il ne faut pas que les gens pensent à des relogements dans des constructions qui sont dédiées aux personnes qui avaient déjà fait des demandes de logements ; il faut que ça soit clair dans l’esprit de tous !
Je demande également la création de trois centres d’accueil de demandeurs d’asile. Il en faut un à Cayenne et un à Saint-Georges et à Saint-Laurent, qui sont les deux villes étapes par lesquelles les gens passent.
Je demande également l’organisation d’une conférence de haut niveau pour traiter la question de l’immigration sur le territoire de la Guyane, qui devient un vrai problème.
Je demande aussi qu’au niveau local, nous soyons en capacité de favoriser l’intégration des personnes qui sont éligibles.
En quoi consisterait cette conférence de haut niveau ?
Elle permettrait de planifier et d’anticiper les évolutions des différentes crises qui pourraient toucher le monde et qui auraient des répercussions sur le territoire de la Guyane. Elle devrait permettre de définir les modalités selon lesquelles nous allons adapter les lois et les règlements concernant l’accueil des migrants ici. L’asile, l’immigration, l’intégration… sont des sujets qui doivent faire partie d’un seul bloc de réflexion, et c’est un travail qui doit se faire au niveau du Parlement, à l’Assemblée nationale et au Sénat.
L’élément le plus important, c’est que cette conférence de haut niveau va devoir définir les conditions d’une meilleure coopération multilatérale entre la France, Haïti, le Suriname et le Brésil, car on sait très bien que le flux migratoire passe par là.
Il faut que cette conférence soit également en mesure de combattre, par la coopération, l’instauration et les actions contre les réseaux mafieux, car il existe de véritables passeurs d’êtres humains qui mettent les gens dans des situations d’esclavage moderne.
Je pense notamment à l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, qui a pour objectif de protéger les frontières de l’Union Européenne et de l’espace Schengen de l’extérieur. Cette agence est dotée de garde-côtes permanents qui se donnent pour objectif d’avoir, en 2027, 10 000 garde-côtes pour préserver les frontières de l’UE, qui représentent 1 800 km. En Guyane, nous avons 1 620 km pour zéro garde-frontières. Je considère qu’il n’y a pas de raison que la Guyane ne bénéficie pas de ces moyens humains, financiers et matériels. La France et l’UE doivent pouvoir apporter à la Guyane les moyens dont elle a besoin pour faire face à cette crise.
Que dire de la proposition faite par l’OFII qui consisterait à donner de l’argent aux sinistrés pour retourner volontairement en Haïti ?
Les gens partiront d’eux-mêmes pour aller où ? La misère et les dangers qui sévissent actuellement en Haïti font que les gens ne partiront pas chez eux. Les gens ont refusé la proposition de l’OFII à juste titre. La misère et le désespoir des gens me laissent penser que ce n’est pas en étant dans la critique facile qu’on va régler ce problème.
Quid de l’habitat insalubre ?
Pour moi, cela fait partie des questions qu’on va devoir se poser dans le cadre de la conférence de haut niveau pour trouver des réponses à cette question.
En plus de celle qu’on se posait déjà sur les 15 000 logements qu’il manque en Guyane à cause de problèmes fonciers, de problèmes de financements, et parfois de problèmes de gouvernance, il faut à un moment donné qu’on soit en capacité de jeter un regard précis sur la situation actuelle, les moyens dont on dispose, l’objectif qu’on veut atteindre, et quels sont les outils réglementaires, législatifs, budgétaires et humains que l’on va devoir mobiliser pour atteindre cet objectif de mieux vivre ensemble et d’une Guyane apaisée pour continuer à accroître son développement.
Y a-t-il de l’espoir de voir avancer le projet statutaire compte tenu du contexte gouvernemental actuel ?
Le projet statutaire s’inscrit dans la durée. Le gouvernement a un problème qui est très ponctuel, et la France ne peut pas rester sans gouvernement. Je n’attends que le coup d’envoi pour prendre un avion avec l’équipe qui va m’accompagner pour aller poser les problèmes et dire au gouvernement qu’au vu de la situation actuelle, si on avait eu par exemple la possibilité de partager avec eux quelques éléments d’appréciation des flux migratoires, peut-être qu’on en serait pas là aujourd’hui.
L’État veut faire seul, mais les personnes qui le représentent actuellement en Guyane n’ont pas forcément une bonne maîtrise de la situation, ni de l’histoire de ce territoire. Ils prennent donc des décisions qui sont faites à la légère, lorsque eux ne seront plus là, nous, les enfants du pays, resterons avec le problème.
Je ne demande pas l’indépendance, ni qu’on me rétrocède la gestion du flux migratoire, mais je veux être impliqué avec eux lorsqu’ils prennent un certain nombre de décisions. Je dirais que ce n’est que reculer pour mieux sauter.