Antoine Poussier, préfet de Guyane, a accordé un entretien fleuve à Mo News. Il y affiche ses ambitions pour améliorer la sécurité des Guyanais et détaille les grands travaux qui l’attendent.
(Propos recueillis par Hermann Rose-Elie et Samuel Reffé)
Quelle est la feuille de route d’un préfet ?
La feuille de route d’un préfet d’Outre-mer repose, premièrement, sur la mise en œuvre des orientations du comité interministériel des Outre-mer [CIOM], les instructions du gouvernement. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, on ne se dit pas grand chose dans les passations préfectorales, elles sont courtes et concrètes. Ça répond à un besoin simple, celui de ne pas influencer son successeur. Il ne faut pas transmettre en héritage les appréciations qu’on peut avoir des personnes ou des sujets. La règle est de ne pas contraindre ou influencer. Ça peut permettre, d’ailleurs, d’apporter un regard nouveau.
Quel était votre niveau de connaissance de la Guyane avant nomination ?
J’étais conseiller technique Outre-mer de la première ministre. Le hasard fait que la Guyane était avec Saint-Pierre et Miquelon le seul endroit en Outre-mer où je n’avais jamais été physiquement. En même temps, après un an et demi aux côtés de Jean Castex puis d’Elisabeth Borne, j’étais informé de l’actualité de la Guyane et des dossiers en temps réel. J’échangeais avec le préfet de la Guyane, on avait des remontées… Je n’ai pas découvert les sujets guyanais. Maintenant, la perception depuis Paris est différente de celle depuis Cayenne. Il faut aussi rappeler que le préfet est la première voie de remontée vers le gouvernement. On est des exécutants, mais aussi des conseillers du gouvernement sur les orientations à prendre pour la Guyane. Il y aussi les élus, les socioprofessionnels qui expriment leurs attentes.
TRAFIC DE STUPÉFIANTS
Davy Rimane, député de la seconde circonscription, compte attaquer sur le fond le texte qui sert de base au dispositif « 100% contrôles » à l’aéroport Félix-Eboué. Deux récents exemples d’arrêté d’interdiction temporaire tendraient, selon lui, vers une procédure au « délit de faciès ». Vous accusez réception ?
L’immense majorité des passagers qui embarquent dans un vol depuis l’aéroport Félix-Eboué acceptent et comprennent la nécessité du dispositif. Ils le comprennent parce que c’est un dispositif nécessaire, d’abord pour protéger la jeunesse guyanaise du fléau du trafic de stupéfiants. Je ne me résous pas à ce que plusieurs centaines de Guyanais soient tentés, chaque mois, de transporter de la drogue vers l’Hexagone. Je suis en mesure de confirmer que le dispositif est efficace. On a un moyen de le mesurer. Ce qu’on trouve à l’arrivée [les saisies de cocaïne] est cinq à dix fois inférieur à ce qu’on trouvait avant. À Orly, on trouvait parfois jusqu’à 100 kilos [de cocaïne] par mois. Ces derniers mois, on est plutôt entre 5 et 10 kilos. Le dispositif n’est pas étanche, mais reste efficace. Après, il a été monté de façon empirique et évolue régulièrement. On l’améliore, car l’adversaire s’adapte. J’ai entendu les observations de Davy Rimane. Un point nous réunit, c’est que le dispositif n’a pas pour objectif d’empêcher des gens qui sont sans lien avec le trafic de stupéfiants d’embarquer. Ce sont des situations qu’on veut supprimer. On est en train de réfléchir à rendre le dispositif plus efficace, avec le moins de défauts possibles. Accuser le dispositif de contrôle au faciès, c’est une façon inadaptée de le qualifier. Le dispositif est mis en place par des policiers qui sont presque tous nés en Guyane. En revanche, dans le faisceau d’indices qu’on utilise pour évaluer la probabilité que le passager soit un trafiquant, il y a effectivement le comportement, l’allure et l’attitude du passager. Ce n’est pas du contrôle au faciès, c’est excessif de dire ça. C’est insultant pour les gens qui le mettent en œuvre.
Le dispositif va évoluer ?
Il est en évolution permanente. Si on trouve dans les évolutions des méthodes qui nous permettent de réduire la contrainte pour la population, tant mieux. Mais pour l’instant, c’est le moins mauvais dispositif dont je dispose. La contrainte que représente ce dispositif est proportionnée à l’enjeu pour la jeunesse de Guyane. Tant qu’on constatera une pression du trafic de drogue sur le transport aérien, on le maintiendra. J’ai toutefois demandé à ce qu’on améliore la traçabilité des indices recueillis. Par ailleurs, sur la motivation des arrêtés, j’ai demandé à ce qu’on en améliore la rédaction.
« L’ADVERSAIRE S’ADAPTE »
Sur l’orpaillage, vos prédécesseurs ont eu des idées et des stratégies. Est-ce un combat sans fin ?
On a quand même, par rapport à la période avant Anaconda [opération militaire de la gendarmerie nationale menée entre 2002 et 2008 contre les sites d’orpaillage], divisé par deux le nombre d’orpailleurs et la quantité d’or extrait. La question qui peut se poser, c’est : quelle est notre objectif à terme ? Rester à ce niveau d’endiguement ou passer une étape supplémentaire pour faire encore baisser le niveau d’orpaillage illégal ? On obtient des résultats qui peuvent encore paraître comme une étape transitoire. C’est un peu comme la lutte contre le trafic, l’adversaire s’adapte. Il faut voir comment faire mieux pour baisser d’un cran ce phénomène. On a des idées capacitaires et opérationnelles, il faut qu’on ait l’avantage de l’initiative et de la surprise. On est conscient que l’orpaillage perturbe la vie au quotidien des populations amérindiennes, que ces activités ont des conséquences environnementales et par ailleurs que le fonctionnement d’une économie illégale est toujours la base d’autres types de délinquances et de criminalité.
Les annonces faites lors des Assises de la Sécurité en termes de renfort ont-elles été suivies d’effet ?
Gérald Darmanin avait annoncé plusieurs choses. La première, c’est l’antenne du RAID, qui a été inaugurée il y a peu. Après, des renforts sur l’antenne de l’OFAST ont été également installés. Ce sont des experts du trafic de drogue aérien, mais ils ont aussi un travail plus ambitieux sur les réseaux [de trafic de stupéfiants]. La mise en place de task forces pour la gendarmerie nationale, 18 militaires supplémentaires consacrés à la lutte contre les réseaux criminels brésiliens, a été effectuée. À ce stade, les promesses du gouvernement sont d’ores et déjà tenues. On constate des résultats sur le trafic de stupéfiants aérien.
« Les principaux enjeux de sécurité qu’on a sont de nature transfrontalière ».
Le frein n’est-il pas finalement judiciaire dans les luttes dont vous parlez ? Quid de la coopération avec les pays voisins ?
Je pense qu’on a deux axes d’amélioration. Il faut encore qu’on renforce la coproduction de sécurité, renforcer la vidéoprotection, les contrats de sécurité intégrés et de façon générale toutes les politiques de prévention. La Guyane n’est pas une île. Les principaux enjeux de sécurité qu’on a sont de nature transfrontalière. Si on voulait une éradication de l’orpaillage illégal, il faudrait une coopération avec le Brésil et le Suriname qui sert de base arrière logistique. Tant qu’on n’aura pas amélioré notre coopération sécuritaire, on sera toujours dans un chantier permanent de lutte contre l’orpaillage. Il faut que les conditions sécuritaires soient remplies. On essaie de le faire. La coopération avec le Brésil fonctionne. Avec le Suriname, c’est encore pour l’instant en voie d’amélioration.
Avez-vous rencontré les acteurs économiques du département ? La présidente de la chambre de commerce et d’industrie de Guyane est montée au créneau pour dénoncer des retards de paiement de l’Etat, des collectivités, ainsi que les problèmes de sécurité dans et aux abords des commerces ?
La première semaine après mon arrivée, j’ai rencontré les présidents des trois chambres de commerce. Il était important pour moi de montrer à la société civile qu’on est à l’écoute. Il y a effectivement eu un retard de paiement anormal sur les travaux du doublement du pont du Larivot. Le paiement a été effectué la semaine dernière. La présidente de la CCIG était dans son rôle. Ensuite, je comprends parfaitement que les vols à main armée dans les commerces créent une insécurité. Mais des instances existent et il y a un contrat de sécurité intégré qui va nous permettre de nous réunir, avec notamment la mairie et la gendarmerie, pour partager les préoccupations et voir comment lutter plus efficacement. Là encore, le côté transfrontalier de ce type de délinquance nous complique la vie.
Air Guyane est en liquidation judiciaire. Quelles sont les pistes dont l’Etat disposerait au cas où le groupe (ou la collectivité) en charge de la reprise ne serait pas en mesure d’assurer, sur le court et moyen terme, la continuité territoriale vers les communes de l’intérieur ?
On attend d’abord la précision du tribunal de commerce afin de savoir s’il y a une reprise ou pas. Il y a aussi la question des 80 salariés d’Air Guyane qui nous préoccupe. On se prépare toujours au pire, c’est notre métier. J’espère qu’il n’y aura pas d’interruption d’activité. Nous nous coordonnons avec la collectivité territoriale de Guyane pour que le service minimal soit possible. Sur l’aspect sanitaire, le SAMU est autonome. Mais il y a d’autres enjeux, dont celui de l’enclavement, comme à Saül par exemple.
Vous avez des pistes ? L’obtention des habilitations de l’aviation civile pourraient laisser un temps de battement de plusieurs mois…
Ça dépend de l’identité du repreneur. La question est assez technique. La DGAC doit vérifier que les capacités techniques et financières sont réunies pour faire voler les passagers. On se prépare à identifier les besoins qui pourraient être mobilisés. S’il n’y a plus d’offres commerciales disponibles, on assurera la continuité territoriale.
CEOG : PROTECTION DES BIENS ET DES PERSONNES
Les travaux de la centrale électrique de l’Ouest Guyanais ont repris manu militari le 16 août. Ils se poursuivront avec l’appui continu des forces de l’ordre ?
On est dans un registre de protection des biens et des personnes. Le chantier a commencé au début de l’année 2022 et a repris à la fin de la saison humide. Il se déroule sous la protection de la gendarmerie qui protège les ouvriers et les engins compte-tenu d’actes violents réguliers qui ont été constatés. C’est la raison de mon déplacement à Prospérité [le 7 septembre]. Ça m’a permis d’avoir un premier contact et de comprendre les attentes du chef du village Prospérité. Ce que je retiens de notre échange, c’est d’abord sa proposition de déplacement d’un projet qu’il ne remet pas en cause. J’ai transmis à CEOG, mais cette proposition n’a pas pu être validée car cela soulevait des questions environnementales et juridiques. Là où on s’est rejoint, c’est qu’on a une responsabilité collective sur la violence. Il peut y avoir une guerrilla juridique, une contestation, des voies de droit utilisées… Par contre, lancer des cocktails Molotov sur des engins, c’est une voie qui est sans issue pour tout le monde. Évidemment, toute personne qui se livre à ce type d’agissements commet un délit susceptible de suites judiciaires.
Un autre chantier est en cours, celui de l’évolution institutionnelle. Est-ce que le préfet que vous êtes a un rôle à jouer ? Un rôle d’intermédiaire ?
Je ne travaille pas à un niveau constitutionnel. Mon objectif est d’améliorer la vie quotidienne, dans le champ des compétences de l’État, de la population. On peut d’ores et déjà le faire pour renforcer la sécurité, lutter contre l’orpaillage, se diriger vers le plein emploi ou encore assurer la transition énergétique. Cette ambition [celle de l’évolution institutionnelle] est portée par le président de la CTG qui est en discussion avec le gouvernement. Une chose a été dite, c’est que la réforme constitutionnelle de la Nouvelle-Calédonie concernerait d’abord la Nouvelle-Calédonie. Je reste convaincu que dans le cadre actuel, celui de l’article 73, on peut encore améliorer notre capacité à collaborer avec les collectivités et créer une union guyanaise pour obtenir des adaptations.