Systématisé à l’aéroport Félix-Eboué, le dispositif visant à porter un coup d’arrêt au trafic de stupéfiants depuis la Guyane affiche un bilan positif.
La mule ne passera plus. En octobre 2022, les autorités, sous l’égide du préfet Thierry Queffelec, se sont fixées pour objectif d’augmenter la pression autour des passeurs de drogue au départ de l’aéroport Félix-Eboué. Pour cela, un dispositif « inédit » a été mis en place, puis pérennisé, dans l’enceinte et aux portes de l’aéroport. Selon un roulement continu, une cinquantaine de forces de l’ordre, des policiers de la PAF (Police aux frontières) et une dizaine de gendarmes mobiles, sont mobilisées.
Le principe est relativement simple. Pour éviter la « saturation » des dispositifs de contrôles, notamment lors du passage au scanner corporel, un dispositif de pré-ciblage guette les voyageurs. Avant même de rentrer dans l’aéroport, ces derniers sont orientés vers un accès unique au hall de l’aéroport. Un premier point de filtrage qui marque le début d’un processus échafaudé avec précision. Des agents de la police aux frontières y posent des questions simples, presque lapidaires. « Ils sont en mesure de détecter des signes de stress ou encore de percevoir une anomalie dans les réponses aux questions » souligne le commissaire-divisionnaire Frédéric Martinez, numéro 2 de la direction territoriale de la police nationale.
Les profils dits « suspects », pas en mesure de répondre promptement aux questions, sont orientés vers un second agent, chargé d’une première palpation. C’est ici que certaines saisies de cocaïne ou d’autres produits stupéfiants sont réalisées « presque toutes les semaines » selon les autorités. « Après le tamis de la palpation, le voyageur peut aussi faire l’objet d’un contrôle approfondi. » poursuit Frédéric Martinez.
A proximité de l’aéroport, une algeco est consacrée aux auditions de suspects.
PLUS DE 4000 ARRÊTÉS D’INTERDICTION D’EMBARQUER
À une cinquantaine de mètres de l’aéroport, cinq ou six valises se dressent, droites sur leurs roulettes, en ce mercredi « plutôt calme » pour les agents. Un seul vol est programmé ce jour-là. Nous foulons rapidement le pas dans cet ensemble de constructions modulaires, aux côtés du commandant Mehdi Embark, adjoint au chef de la Police aux Frontières et du commissaire-divisionnaire. Les portes défilent, il s’agit de bureaux occupés par des enquêteurs de la police aux frontières. À l’intérieur, les discussions sont éphémères, courtes. Il s’agit d’auditions. Les personnes repérées au cours du « pré-ciblage » sont questionnées plus précisément sur leur parcours à venir, les motifs de leur voyage.
Là aussi, le voyageur doit être formel et clair. « Par exemple, si la personne nous dit qu’elle se rend à Agen, et qu’elle situe cette ville dans le nord de la France… » illustre le commandant Mehdi Embark. En cas de soupçons avérés, l’agent peut décider de couper court aux velléités de départ de son interlocuteur. « C’est ici qu’on va déterminer si la personne mérite de se voir notifier un arrêté préfectoral de non-embarquement », confie le commissaire-divisionnaire Frédéric Martinez. Depuis la mise en place du dispositif, 4316 arrêtés d’interdiction d’embarquer ont été prononcées. « Ça peut correspondre à quatre tonnes de cocaïne, avec un kilo estimé par passeur », estime-t-il, rappelant qu’il s’agit d’une « projection ».
Concrètement, au-delà du côté « visuel » et « dissuasif » du dispositif, les chiffres sont là. Selon les informations communiquées par la direction territoriale de la police nationale, la plaque parisienne, les aéroports d’Orly et de Roissy, enregistre 67% de « mules » provenant de Guyane en moins sur les trois derniers mois. En 2022, 183 passeurs ont été interpellés entre le 1er janvier et le 31 mai, contre 60 passeurs sur la même période de l’année en 2023. De facto, à l’aéroport Félix-Eboué, les interpellations pour détention et transport de stupéfiants ont augmenté en 2023. 233 gardes à vue pour ces motifs ont été recensées depuis le début de l’année, pour 143,6 kilos de cocaïne saisis.
RESSOURCES HUMAINES
Dans un rapport sénatorial en date de 2020, Antoine Karam, ex-sénateur de Guyane, soulignait : « selon une estimation de l’OFAST, la systématisation des contrôles à corps et à bagages pourrait ainsi générer une augmentation de 40 % du flux à traiter, soit un surcroît de 2 800 cas par an. Il n’est donc pas envisageable de renforcer uniquement les actions conduisant à davantage d’interpellations, sans donner aux différents maillons de la chaîne pénale, notamment à l’autorité judiciaire et aux centres pénitentiaires, les moyens de faire face à cette augmentation. »
Un constat, toujours d’actualité. Au gré des annonces faites par Gérald Darmanin à l’issue des Assises de la Sécurité en octobre dernier, l’office anti-stupéfiants, tête de pont de la lutte contre le trafic de stup’ en Guyane, a été renforcée en fin d’année dernière avec deux groupes distincts. Le premier traite la problématique des passeurs, donc des mules, tandis que l’autre « fait de l’initiative, pour notamment identifier les têtes de réseau » avec un « large champ d’action sous l’autorité des magistrats », précise Frédéric Martinez. Quelques moyens en plus dans la logistique et la surveillance, mais, pour « prendre le spectre entier », des renforts supplémentaires sont attendus du côté de la Police aux frontières.
Le commandant Mehdi Embark, de la Police aux Frontières, et le commissaire-divisionnaire Frédéric Martinez.
Pour appuyer le dispositif « 100% contrôles », rongeur en termes de moyens humains, la DTPN de Guyane innove et envisage de créer une trentaine de postes de « gardes frontières ». Des contractuels de trois ans, embauchés à l’issue d’une sélection et d’une formation dispensée par les agents de la PAF, en mesure de procéder aux mêmes contrôles que les agents du pré-filtrage (dans un cadre régalien distinct).