Alain Alaïs, le bobsleigher Guyanais, renoue avec la compétition dans l’athlétisme. Nous l’avons rencontré à Kourou.
Il y a les polyglottes dans les langues, les poly-tâches dans la vie de tous les jours et ceux qui arrivent à marier la polyvalence à la sportivité. Alan Alaïs, sportif de haut-niveau kouroucien, s’intègre parfaitement dans la troisième catégorie. Depuis 2016, il fait partie d’une des deux équipes de France de bobsleigh, discipline phare des sports d’hiver.
Issu d’une famille de sportifs, l’athlète remet cette année ses deux pieds dans les starting-blocks des compétitions d’athlétisme desquelles il s’était éloigné depuis près de cinq ans. Un changement de mode de vie qui s’accompagne aussi de plusieurs projets extra-sportifs, dont une salle de remise en forme au quartier de l’Anse qu’il anime notamment avec sa grande sœur, la handballeuse Agathe Alaïs, ainsi que sa compagne.
Aux Jeux Olympiques d’hiver de Pékin, en février 2022, l’équipe de Bobsleigh à 4 dont il fait partie avait terminé à l’avant-dernière place. Une désillusion qui n’empêche pas l’athlète de haut-niveau de s’accrocher et de consacrer chaque année, entre novembre et mars, sa vie à ce sport exigeant qui nécessite de s’entraîner en altitude. De retour en Guyane depuis le mois de mars, Alan Alaïs compte aussi porter l’athlétisme Guyanais et le faire évoluer pour dénicher de nouvelles pépites.
INTERVIEW
Alan Alaïs, depuis sa salle de musculation à Kourou. Comment a débuté votre carrière dans le sport de haut-niveau ?
J’ai commencé tout jeune par l’athlétisme et le handball. A l’âge de 13 ans je suis parti en Sport-étude handball au centre de formation de Limoges où je suis resté deux années durant. De retour en Guyane, j’ai commencé l’athlétisme puis j’ai intégré les présélections dans l’équipe de France jeunes. Mon cœur battait alors un peu entre l’athlétisme et le handball, mais j’ai finalement tout stoppé pour partir vers l’athlétisme en intégrant le Roukou, présidé par mon oncle. J’ai eu plusieurs titres de champion de France au saut en longueur et au 200m. En établissant mon record personnel à 10’37 sur le 100m aux championnats de France d’athlétisme de 2016, j’ai été repéré par le sélectionneur de l’équipe de France de bobsleigh, Max Robert. Dans le bobsleigh, il cherche des sprinteurs puissants. J’avais le bon gabarit.
Connaissiez-vous à l’époque les exigences de ce sport d’hiver ?
C’était une nouvelle aventure pour moi. C’est un sport très physique, qui demande beaucoup de force et d’entraînement. Les charges sont très lourdes, il faut du mental. On doit aussi savoir faire face à la pression, aux chocs… L’avantage, c’est qu’au bobsleigh, on pouvait manger à volonté, pas besoin se priver comme dans l’athlétisme. On peut aussi énormément voyager. Franchement, c’était une très belle aventure. Le film Rasta Rockett, qui rappelle l’histoire du bobsleigh, montre qu’on peut faire ce sport sur des roulettes. Pourquoi pas reproduire cela en Guyane pour faire connaître le bobsleigh au grand public. Ça resterait un gros budget de faire venir un engin caréné qui pèse 270 kg en moyenne !
Vous vous rappelez de vos premiers entraînements ?
Ça s’est passé à La Plagne, dans les Alpes. On avait un chariot à roulettes, avec du poids dessus. On devait pousser à fond le chariot sur une piste en descente avant de se placer sur dessus au bout de 40 mètres environ. J’avais déjà acquis la transition « sprint – saut » car je faisais du saut en longueur. Certains sprinteurs très rapides n’ont pas forcément les bons réflexes. Je m’en suis bien sorti grâce à mon parcours dans l’athlétisme. J’ai commencé en « 4 », celui qui impulse, lance le bobsleigh et freine à la fin.
Comment se sont passées les compétitions ?
Dès 2017, j’ai participé à ma première coupe du Monde à Winterberg en Allemagne [Alan Alaïs et ses trois coéquipiers avaient terminé à la 6e place]. Énormément de compétitions se déroulent là-bas car ils ont plusieurs pistes. Après on a fait l’Autriche, les Etats-Unis, on a été partout… Une saison dans le bobsleigh débute en novembre et se termine en mars. Après, on a les championnats de France au mois d’avril.
Vous avez toujours jonglé entre l’athlé’ et le bobsleigh ?
Oui, durant l’« été » je fais de l’athlétisme, ce qui me permet de conserver mes performances en vitesse. En cinq ans de bobsleigh, j’ai quand même pris 10 kilos de masse musculaire. J’ai un peu laissé les compétitions d’athlétisme de côté pendant un temps, car c’était compliqué de courir avec ce poids-là. Je continuais de courir pour m’entretenir. Cinq ans après, je me suis dit pourquoi pas vraiment reprendre le sprint. Suite à la dernière saison de bobsleigh, je suis rentré en mars 2023 en Guyane et je m’y suis remis sérieusement. Je vais voir ce que ça donne.
Le 29 avril, au meeting international des Savanes, premier grand rendez-vous de l’année pour les athlètes Guyanais et nationaux, Alan Alaïs a terminé en troisième position sur le 100 m (10’95) et à la 2e place du 200m (21’68). Il s’est largement imposé sur le saut en longueur en 7,20m, devant son rival Surinamais Doniquel Werson (7,13m) et Sloan Careme du Toucan Athletic Club (6,85m). Est-ce qu’il est possible de vivre uniquement du bobsleigh ?
En tant que sportif professionnel, non. Il y a un grand nombre de niveaux et c’est un sport à objectifs. Par exemple, on touche une prime seulement quand on termine dans le top 10 mondial. Il faut toujours être à la recherche de partenaires et de sponsors pour nous pousser, sinon on n’y arrive pas. Ici, si je demande des aides, peu de personnes vont me suivre. Ce n’est pas un sport connu qu’on pourrait développer en Guyane tandis que l’athlétisme a plus de visibilité. C’est un sport qui a un avenir, notamment chez les jeunes.
La suite de votre carrière s’oriente donc vers l’athlétisme ?
J’essaie de donner le maximum et voir où ça va me mener. J’ai les championnats d’Europe de bobsleigh en novembre 2023. A côté de ça, je reprends l’athlétisme pour voir si j’arrive à retrouver le niveau que j’avais il y a cinq ou six ans. Je me laisse trois ans, tout en sachant que les Jeux Olympiques d’hiver auront lieu en 2026 [en Italie, ndlr].
Parlez-nous de vos projets extra-sportifs.
Mis en place depuis deux ans, AS Slim Body est un centre dans lequel on fait de l’entretien musculaire, du cardio, de la musculation, des massages, des soins amincissants, de l’aquagym… C’est vraiment un lieu complet. Toutes les personnes qui veulent perdre du poids, se remuscler, peuvent venir nous voir. On est sur Kourou, au quartier de l’Anse, pas très loin de la plage. Ma compagne, qui est basketteuse, participe également à l’encadrement.
Alan Alaïs et son père Jean-Luc Alaïs. Quel est votre regard sur la scène actuelle en Guyane dans l’athlétisme ?
On passe à côté de plein de pépites à cause du coût des licences. Certains jeunes en clubs ont un certain niveau, mais d’autres sont mis de côté car ils n’ont pas les moyens d’intégrer un club. Je rêve qu’on fonctionne comme en Jamaïque, où des compétitions ouvertes permettent de déceler de nouveaux talents. Ce travail-là n’est pas fait. Personne ne part faire du repérage dans les collèges ou les lycées. Pourtant, ça nous permettrait d’avoir un meilleur potentiel dans l’athlétisme. Il faut ouvrir le milieu de la compétition. Pour le moment, j’essaie de faire venir certains jeunes pour les entraîner et les motiver. On va constituer un groupe d’athlètes pour faire vivre l’athlétisme.
LES CARIFTA GAMES DE 2025 EN GUYANE
Les Jeux Caribéens pourraient bien se dérouler en Guyane dans deux ans. A l’issue des Jeux Olympiques de Paris en 2024, la ligue d’athlétisme envisage d’organiser les CARIFTA Games au stade Edmard Lama de Rémire-Montjoly. Ce serait une première. En 2020, à l’issue d’un meeting, un comité s’était déplacé pour mesurer les « capacités d’organisation » de la ligue Guyanaise. « On a commencé à prospecter, certaines conditions sont requises, comme la capacité hôtelière nécessaire afin de recevoir les athlètes entre Cayenne et Kourou. » explique Jean-Luc Alaïs, responsable de la communication internationale à la ligue d’athlétisme. La ligue espère ainsi obtenir l’appui de la Collectivité Territoriale de Guyane et d’autres partenaires afin de mener à bien ce projet, porté depuis près de trois ans.