Samedi 13 mai, dès 9 h, les parlementaires, sénateurs, élus territoriaux et maires Guyanais étudieront l’avant-projet de document d’orientations sur l’évolution de la Guyane vers un statut de collectivité autonome. Une nouvelle étape nécessaire pour le processus d’évolution statutaire.
« Un avenir commun partagé ». C’est ce qui est présenté dans le rapport de 56 pages remis aux élus de Guyane. Le fruit d’une vingtaine de réunions de travail du comité de pilotage qui mobilise depuis août 2022 des partis politiques, des parlementaires, les chambres consulaires, des conseils consultatifs et des représentants de la société civile autour du sujet de l’évolution statutaire.
« Cette deuxième phase a permis d’aboutir, à l’issue des travaux du Comité de pilotage, à la détermination d’une volonté politique partagée sur l’orientation statutaire, celle d’une demande de constitutionnalisation spécifique du statut d’autonomie de la Guyane. » souligne, en préambule, Gabriel Serville, président de la CTG.
Statut particulier
Réuni le 26 mars 2022, le Congrès des élus avait acté la demande de création d’un Titre XII bis dans la Constitution relatif à un « statut particulier d’autonomie pour la Guyane, fixé par une loi organique qui sera soumise préalablement à la consultation du corps électoral Guyanais. » Il s’agit, comme le rappelle le document introductif, d’ « inscrire la Guyane dans la Constitution en tant que collectivité territoriale autonome à statut particulier. »
Demain, samedi 13 mai, dans la salle d’assemblée plénière de la Collectivité territoriale de Guyane, les élus seront invités à se prononcer sur neuf résolutions.
« Le congrès n’étant pas un organe juridique officiel, la résolution finale adoptée samedi devra faire l’objet d’une délibération de l’assemblée plénière [de la CTG]. Délibération qui sera ensuite transmise à la première ministre du gouvernement français, Elisabeth Borne, qui aura 15 jours pour accuser réception. » détaille un conseiller technique de la CTG.
Régime législatif, partage des compétences, organisation des institutions… Qu’est-ce qui est proposé, en l’état, et qu’est-ce qui changerait concrètement dans l’organisation même de la société Guyanaise en cas d’adoption dudit projet ?
Quelles institutions ?
C’est un préalable à tout projet d’évolution. Le cadre institutionnel proposé pour la Guyane s’inspire de celui en vigueur dans d’autres collectivités à statut spécial, comme les Canaries (Espagne), les Açores ou encore Madère (Portugal).
Ce qui est proposé : La Collectivité autonome sera composée d’une Assemblée dont les membres sont élus au suffrage universel direct. L’Assemblée dispose d’un président, élu par ses membres. Le président de la Collectivité autonome est élu parallèlement parmi les membres de l’Assemblée.
Ce président représente la Guyane et décide des attributions de chaque ministre dans le gouvernement qu’il constitue. Il promulgue des « lois pays » et les délibérations de l’assemblée. Comme dans un régime parlementaire, c’est le gouvernement qui arrête les projets de délibérations ou de « lois pays » à soumettre à l’assemblée et les mesures d’application nécessaires à leur mise en œuvre. Charge revient à l’Assemblée d’examiner et d’adopter les projets de délibérations présentés. Cette dernière peut aussi « renverser » le gouvernement et son président, l’exécutif, lorsque les 3/5e de ses membres adoptent une motion de défiance.
Dans l’avant-projet, deux organes consultatifs sont intégrés dans le fonctionnement de la collectivité autonome. Il s’agit du CESECEG, le Conseil économique, social, environnemental de la culture et de l’éducation en Guyane, ainsi que du Sénat Coutumier. Sur la forme comme sur le fond, la dénomination et les compétences des autorités coutumières [jusqu’ici seulement délibératives et consultatives] pourraient prochainement évoluer.
« On n’est pas d’accord avec le terme Sénat Coutumier. On est plutôt parti sur le terme « Assemblée des hautes autorités autochtones de Guyane ». Seuls les peuples autochtones y siègeront, c’est ce qu’on demande. La partie bushinenge réclame un autre organe qui sera appelé Sénat Coutumier. » nous déclarait ce jeudi 11 mai Jean-Philippe Chambrier, président du Grand Conseil Coutumier, à l’issue d’une réunion de dernière minute organisée avec le président de la CTG Gabriel Serville.
Exprimant doutes et réticences quant aux contours du Sénat Coutumier dans l’avant-projet, les autorités coutumières souhaitent en effet intégrer « une véritable chambre parlementaire » en cas d’évolution statutaire. Les délibérations prises par cette chambre « devront revêtir une force contraignante et ne pas être soumises à la tutelle de l’organe en charge de proposer les lois Péyi » ont paraphé – dans un document d’orientation – les autorités autochtones à l’issue de quatre réunions distinctes au village Bellevue d’Iracoubo.
Le préfet remplacé par un Haut-Commissaire
Ce qui est proposé : Un Haut-Commissaire, nommé en Conseil des ministres, représentera l’Etat en Guyane. Il veillera à l’exécution des règlements et des décisions gouvernementales et sera responsable du maintien de l’ordre.
Compétences
Ce qui est proposé : Le nouveau territoire autonome prendrait sous son aile un ensemble de compétences jusqu’ici attribuées (en partie) à l’Etat. Il s’agit, entre autres, de l’urbanisme, de l’aménagement du territoire, du transport, mais aussi de la politique en matière d’énergie ou encore de l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles, biologiques et non biologiques, du fond de la mer, de son sous-sol et des eaux surjaçentes. La collectivité territoriale autonome pourrait également se charger de la politique de recrutement et de formation des maîtres, la politique éducative ou encore les programmes scolaires.
D’autres compétences régaliennes seraient partagées. La collectivité territoriale autonome estime qu’elle doit être associée à la réglementation et le contrôle de l’immigration, à l’enseignement du second degré, à l’organisation administrative de la justice ou encore à la sécurité publique et à la mise en place des politiques relatives à l’emploi.
Ressources
Via ses nouvelles compétences, la Guyane bénéficierait ainsi de ressources propres. Cependant, en l’état, les recettes fiscales directes et indirectes qui en découlent sont subordonnées aux futures négociations avec l’État. « Elles [les recettes] doivent également provenir d’un régime de compensation relatif au régime dérogatoire de taxation dont bénéficie l’activité spatiale, au titre de l’octroi de mer et de la taxe foncière, et l’État sur son foncier domanial privé au titre de la taxe foncière. » peut-on lire dans le document remis aux élus.
Ce qui est proposé : La collectivité autonome souhaite s’adjoindre la « maîtrise des terres ». 90% du territoire Guyanais est aujourd’hui classé dans le « domaine privé de l’État », soit 8 millions d’hectares, gérés par l’ONF et le Parc Amazonien. « Ni la légitimité d’un tel état du droit, ni l’efficacité de la gestion de ce patrimoine par l’État n’ont été établis » tranchent les auteurs de l’avant-projet. Par un transfert de compétences, la Collectivité autonome s’engage à créer une Agence foncière, dont la mission sera de mettre en œuvre une stratégie foncière.
La compensation financière résultant du transfert des revenus, charges et obligations y afférents est calculée dans les conditions prévues par le code général des collectivités.
En clair, la fiscalité directe et indirecte deviendrait, selon l’avant-projet, « la première source de financement général du Territoire ». L’instauration d’une TVA locale sur divers biens et services ainsi que des droits à l’importation pourraient représenter à terme près de 50% des recettes du territoire, est-il souligné. Il en va de la solvabilité d’un pays, car l’évolution statutaire peut, selon les porteurs du projet, avoir un « impact positif sur la dette publique », mais aussi sur le commerce international en changeant notamment le regard porté par les investisseurs sur la Guyane. « Ce régime permettra de stimuler l’entrepreneuriat et la création d’entreprises à travers des mesures incitatives au plan fiscal ou réglementaire » est-il écrit dans l’avant-projet.
Quelle place dans l’Europe ?
« On reste en RUP [région ultrapériphérique]. Ce qui est ressorti du débat, c’est que vu la situation assez stable du tissu économique et social Guyanais, la sortie de l’Europe était inopportune. L’innovation, dans le texte, c’est qu’il est prévu que des mécanismes sont dans les plans afin d’obtenir des dérogations de la part de la commission européenne. » projette notre source à la CTG.
D’après les porteurs du projet sur l’évolution statutaire, l’application de certaines normes européennes constitue un frein aux échanges et au développement économique de la Guyane.
Calendrier
C’est une des innovations mises en avant. « La concertation avec le gouvernement a été engagée parallèlement à l’ouverture du processus. » explique le conseiller technique de la CTG. Après un cycle de réunions portant sur les diverses thématiques exposées en partie dans cet article, un point d’étape sera effectué courant juin avec le ministre délégué aux Outre-mers, Jean-François Carenco. L’accord de méthode relatif aux négociations à venir sera exposé demain aux élus. Un enjeu majeur en vue d’une révision constitutionnelle et de l’élaboration du projet de loi organique qui sera soumis à la population. La restitution finale des travaux devrait intervenir au mois de septembre 2023.