Sur fond de conflit familial, l’auto-intronisation de Sergine Nasja au village Kali’na d’Organabo dérange et fracture la population amérindienne sur place.
17 décembre, une scène surréaliste prend pour théâtre le village Kali’na d’Organabo. En plein après-midi, des groupes s’affrontent entre les gendarmes déployés sur les lieux. Des écharpades qui sont l’aboutissement de plusieurs longs mois de discorde entre deux personnes assumant un rôle central dans l’organisation de ce petit village amérindien d’une centaine d’âmes.
L’état de santé du chef coutumier Ernest Grand-Emile, petit-fils de l’ancien Yopoto Paul Joseph, est fragile depuis l’année 2021. Après un AVC, l’actuel Yopoto a donc « passé les rênes » à son adjointe Sergine Nasja. Un passage de relai officieux qui devait, logiquement, permettre à Ernest Grand-Emile de suivre à distance l’actualité dans le village.
Mais Sergine Nasja ne l’entendait pas de cette oreille : « elle allait à des réunions, l’a mis de côté, et plus de nouvelles. » affirme Cédric Paul, un habitant du village. En ostracisant progressivement le Yopoto, l’adjointe a secrètement pris du galon. Jusqu’à ce que la goutte d’eau fasse déborder le vase.
« Il aurait bien aimé qu’elle prenne sa place, mais tout le village n’accepte pas Madame Nasja » souligne Cédric. Face à la fronde, Ernest Grand-Emile s’est finalement ravisé en novembre 2022 : il conservera la chefferie.
Passage en force
Convoqués au début du mois de décembre à Saint-Laurent du Maroni par Bénédicte Fjéké, présidente du Conseil des chefs coutumiers, les deux parties ont été fixées. La présidente ayant déclaré au cours de cet entretien qu’elle ne « reconnaîtrait pas » Sergine Nasja cheffe coutumière.
Loin s’en faut, une semaine plus tard, une invitation à l’intronisation de Sergine Nasja circulait sur les réseaux sociaux. La cérémonie a eu lieu le 17 décembre, donnant lieu à de vifs affrontements entre « pro Nasja » et « pro Grand-Emile ». Un passage de témoin unilatéral et non conforme aux protocoles en vigueur. « Le chef coutumier n’a pas été invité, encore moins la mairesse d’Iracoubo, Céline Régis. Il n’y avait pas de préfet, ni de grand conseil coutumier, ni de présidente des chefs coutumiers de la Guyane. » déplore un membre du Conseil Municipal d’Iracoubo.
Un véritable passage en force qui a suscité des émois. Interpellée à ce sujet, notamment en raison des débordements observés le 17 décembre, Céline Régis, maire d’Iracoubo, rappelle que si « la tradition et la coutume » ne sont pas de son ressort, le maintien de l’ordre public est inscrit dans ses prérogatives. « La population a commencé à m’en parler, j’espérais qu’ils trouvent une solution. J’ai organisé une rencontre entre Ernest Grand-Emile, le Grand Conseil Coutumier et Madame Nasja, mais madame Nasja n’a pas répondu à l’invitation. » nous explique la mairesse.
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Les élus dans la boucle
Dans une lettre adressée à Ernest Grand-Emile et Sergine Nasja, le Grand Conseil Coutumier rappelle aussi qu’il « n’interfère pas dans le processus interne des communautés. » Cependant, en répondant à la demande d’annulation de cette intronisation « surprise », l’autorité coutumière proposait un instant d’échange entre les deux parties.
Une tentative de médiation dans un contexte tendu : « c’est surtout une histoire familiale, concède Jean-Philippe Chambrier, secrétaire général du Grand Conseil Coutumier, on ne peut pas aller à l’encontre de la décision du chef. »
Quelques semaines plus tôt (le 25 novembre) le président de la collectivité territoriale de Guyane Gabriel Serville paraphait également une lettre, à destination du chef coutumier : « grâce à des séances de rééducation, votre état de santé s’est amélioré et je me réjouis d’apprendre cette bonne nouvelle. Vous confirmez votre volonté de rester chef du village ».
Un conseil municipal extraordinaire s’est réuni jeudi dernier en mairie d’Iracoubo. Les élus ont décidé d’envoyer ce lundi un courrier destiné au Grand Conseil Coutumier, au préfet de Guyane et à la collectivité territoriale de Guyane. Contactée par Mo News à plusieurs reprises, Sergine Nasja n’a pas répondu à nos questions.
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