Condamné à la perpétuité en première instance et en appel, Darwin A., reconnu coupable du meurtre d’Anne-Marie Leboulanger, joue ses dernières cartes à la Cour d’Assises d’Appel de Cayenne après un recours en cassation. Son procès se clôturera demain mercredi 14 décembre.
Il la connaît bien cette salle d’audience. Darwin A., torse bombé et chemise blanche bien repassée, y comparaît pour la troisième fois. Reconnu coupable en première instance ainsi qu’en appel du meurtre d’Anne-Marie Leboulanger et condamné à la perpétuité (avec une peine de sûreté de 22 ans prononcée à son encontre), l’homme de 25 ans, né en Colombie, jouera jusqu’à demain mercredi 14 décembre ses dernières « cartes » avec la justice. Sur celles-ci, on ne retrouvera ni franchise, ni aveux, mais une « simple » remise en question des faits qui lui sont reprochés et de nombreuses contradictions. Probablement un des enseignements de cette première journée de procès, suivie par Mo News (seul média présent à l’audience). Darwin A. comparaît à la Cour d’Assises d’Appel pour vol avec violences ayant entraîné la mort, le précédent verdict tombé dans cette affaire ayant été cassé par la cour de cassation.
Une scène d’horreur
Trois jours pour, en tout état de cause, remémorer ce meurtre sordide que personne n’a oublié sept années plus tard. Principalement du côté des parties civiles. Anne-Marie Leboulanger, 47 ans, conjointe du directeur de Carrefour en Guyane, avait été retrouvée égorgée sur son canapé le 31 mars 2015. Les faits ont été commis en plein jour, sur les coups de 15h30. Allongée dans une mare de sang, elle avait un coussin sur la tête. Une scène d’horreur, dans cette habitation résidentielle du Mont Saint-Martin à Remire-Montjoly.
La résidence « Les Martines » à Rémire-Montjoly, dans laquelle les Leboulanger résidaient.
Aucune effraction au domicile familial n’avait été constatée, et « seuls » le véhicule d’Anne-Marie Leboulanger, une Twingo bleue, 37 euros dans la tirelire de son fils et des casquettes de golf avaient été dérobés. « On peut penser qu’elle a été poignardée dans son sommeil » souligne le directeur d’enquête de la Section de Recherches appelé à témoigner ce lundi 12 décembre. Aussi appelé à la barre hier, un médecin de l’Institut Médico-Légal rappelle qu’il n’y a eu aucune trace de lutte ou d’agression sexuelle. Le décès a été causé par un « choc hémorragique » en raison de la section complète de la carotide droite de la victime.
« Toutes les pistes ont été étudiées » assure l’ancien directeur de l’enquête. De celle du contrat au braquage qui a « mal tourné », l’éventail était large. Et pourtant, sept années après, bon nombre d’inconnues demeurent. Parmi elles, un lien avec le vol avec violences subi par une enseignante âgée, seule sur sa terrasse rue Sylvestre Lixef à Remire-Montjoly. Le même jour, un peu plus tôt dans l’après-midi, un homme « très noir » et avec des « traits durs » selon la victime, a surgi après une entrée par effraction.
L’ADN a parlé
« Il m’a enserré, il m’a fait tomber et puis surtout, il m’a bloqué la tête entre ses bras alors que j’étais au sol. J’ai eu très peur, j’ai cru qu’il allait me fracasser la tête. Ça a duré quelques minutes. Je ne pouvais pas crier, car son bras était autour de ma tête. Au bout d’un moment, j’ai couru dehors. Pendant ce temps, il est rentré dans la salle à manger. Il a dû laisser ses gants et s’est dirigé vers ma chambre. Mais il ne m’a rien volé. » se rappelle Martine B. depuis les Pyrénées-Atlantiques où elle réside désormais. En sortant en courant de son logement, elle a alors croisé deux jeunes, qu’elle pensait complices du vol avec violences. « Ce n’était pas le cas, ils ont appelé la police. Lorsqu’on est revenu, l’agresseur était parti. » poursuit-elle.
Elle est formelle : l’agresseur était plus noir que Darwin A., qu’elle décrit plutôt comme un métis. Toutefois, l’ADN de celui qui est à la barre ce lundi a été retrouvée dans les gants roses laissés dans la cuisine. L’homme les portait lorsqu’il s’en est pris à l’enseignante.
« Je l’ai attrapée elle ne se laissait pas faire, je voulais récupérer les clés de la voiture. » reconnaît Darwin A.. Les indices scientifiques sont là. Ses empreintes ont aussi été retrouvées dans la Twingo volée à Anne-Marie Leboulanger le jour du meurtre. Le véhicule a été découvert dans la Cité Cabassou à Cayenne le 2 avril 2015, quartier où la mère et le beau-père de Darwin résidaient. L’ADN de Darwin A. retrouvé dans l’habitacle « matchait » également avec les empreintes sur une casquette saisie dans le domicile des Leboulanger.
Un danger en liberté ?
En Guyane depuis ses 12 ans, le jeune majeur d’alors était sorti de prison depuis 2 mois au 31 mars 2015. Il était sous libération conditionnelle après une tentative d’homicide avec arme en 2014 à Kourou. En stage chez un garagiste, l’homme est décrit comme un bon travailleur, qui a mystérieusement quitté son travail du jour au lendemain à la période des faits. Le 14 avril, une commission rogatoire est délivrée à son encontre. Problème, Darwin A. a quitté la Guyane pour la Colombie à la mi-avril. Il est localisé du côté de Guachané, dans le département de Cauca. Recherché par Interpol, le suspect numéro 1 est finalement arrêté trente-trois mois après les faits, en Guyane française, après un cambriolage.
« Je pense que c’est quelqu’un de très dangereux. Mineur, en Colombie, il avait enfermé son institutrice dans une salle de classe en menaçant de mettre le feu. Il disait qu’il était à l’aise dans le milieu criminel. Sa mère et son beau-père disent qu’il a un gros problème. » soumet aux magistrats et jurés le directeur de l’enquête.
Dès son interpellation, Darwin A. invoque la présence de deux complices, brésiliens. Il donne peu de précisions concernant leurs identités, si ce n’est deux surnoms : « El Chapo » et « Show face ». Le deuxième est décédé le 21 septembre 2015 et a quelques antécédents, dont un vol avec violences le 18 septembre 2009. En 2015, il est plutôt dans le trafic de stupéfiants, « il a changé de spécialité », souligne Virginie Bellouard-Zand, présidente de la Cour d’Assises. « El Chapo » est mort en 2018. Selon les déclarations de Darwin A., c’est avec « Show face » qu’il a pénétré dans le logement des Leboulanger au Mont Saint-Martin.
« Qui croire ? Que croire ? »
« Les Brésiliens avaient besoin d’une voiture. Moi, j’avais besoin d’argent pour aller en Colombie. Je leur ai dit de partir en avant, je les ai suivis à vélo. » décrit-il à la barre, en français. Avant de revenir sur le déroulé des événements au domicile d’Anne-Marie Leboulanger : « Il fallait sauter le grillage pour rentrer dans la maison. Il y avait France 0 à la TV. Je saute le grillage, j’ouvre la porte et O. [« Show face »] rentre dans la maison. Je récupère les objets dans la maison puis je retourne à la voiture [La Twingo bleue d’Anne-Marie Boulanger]. O. ressort ensuite. Je fais une marche arrière fort et puis on part. »
« Il vous a dit ce qu’il a réussi à voler, « Show face » ? » questionne la présidente. « Même pas », répond froidement Darwin A. « Il en a profité pour tuer la dame ? » relance la magistrate. « Je ne sais pas pourquoi il a fait ça », lâche l’accusé. Pour le vol de voiture, Darwin A. assure qu’on lui a promis 3 000 euros de récompense. Il en aurait touché la moitié, selon ses dires. Suffisamment pour prendre la fuite par le Brésil et s’acquitter de onze jours de navigation pour rejoindre la Colombie.
« Là, vous nous expliquez que c’est Showface qui a tué la dame, mais on peut se poser des questions parce que vous êtes capables de ne pas toujours dire la même chose, de ne pas toujours dire la vérité. Qui croire ? Que croire ? » interroge Virginie Bellouard-Zand. L’avocat des parties civiles Me Boris Chong-Sit et le procureur Général Joël Sellier sont revenus sur les contradictions et les changements de version dont a fait part l’accusé tout au long de l’instruction. Prolixe pour ce 3e procès, Darwin A. aura à nouveau l’occasion de s’exprimer ce mardi, ou de se morfondre dans le désaccord.
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