À l’aune de la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (2023-2028), Martin Voisin, directeur d’EDF Guyane depuis le 1er septembre, annonce que l’exploitation de la centrale de Dégrad-des-Cannes pourrait être prorogée de deux années supplémentaires en raison du contentieux juridique autour du projet de centrale du Larivot.
Ingénieur agronome de formation, Martin Voisin intègre EDF en 1994. « J’ai fait la quasi-intégralité de ma carrière dans l’entreprise. Je ne suis pas rentré par l’agronomie, mais par l’informatique. J’avais une spécialisation dans ce domaine. » relate-t-il.
En 2001, il rejoint la filiale distribution de l’entreprise dans un centre rural de l’Est de la France (Saint-Dizier) et découvre le management opérationnel. Il devient directeur de cabinet du gestionnaire de réseau de distribution en gaz en 2004, lors de l’ouverture à la concurrence des marchés du gaz et de l’électricité. Avant sa nomination au poste de directeur d’EDF en Guyane, il était directeur du service client d’EDF dans le sud de la France.
Comment résumeriez-vous les enjeux de l’alimentation en électricité de la Guyane ?
On parle de l’alimentation en électricité au sens large. Ce qui est merveilleux dans ce poste, c’est qu’on s’occupe de tous les métiers : il y a la production, le transport et la distribution, puis la relation client. On a le site de Dégrad-des-Cannes et la future centrale du Larivot, les réseaux de transports HTB et HTA (lignes à haute tension) de la distribution. La structure qu’on appelle EDF SEI (Système Électrique Insulaire) porte globalement tous les métiers de production et de distribution des outils historiques comme le barrage de Petit-Saut, construit il y a plus de 20 ans et la centrale de Dégrad-des-Cannes, construite il y a 40 ans. Depuis le début, ces outils ont été rattachés hiérarchiquement à la structure SEI. Pour les nouveaux moyens de production, EDF compte les faire porter par des filiales de spécialité. Le photovoltaïque est porté par EDF Énergies Renouvelables et les nouveaux moyens thermiques sont portés par EDF PEI (Production Électrique Insulaire).
L’annulation du permis de construire de la « future » centrale du Larivot a été suspendue par la cour administrative d’appel de Bordeaux début octobre. Les travaux pourront-ils aboutir à la fin de l’année 2023, date à laquelle la période d’exploitation de la centrale de Dégrad-des-Cannes se terminera ?
Il y a deux timings qu’on est en train d’examiner de façon très méticuleuse. Le premier a trait au sujet juridique, qui n’est pas terminé, donc évidemment on reste très prudent sur le fond. Après, il y a le timing opérationnel, on est quand même pas très loin du démarrage de la saison des pluies qui n’est pas propice aux travaux d’infrastructures importantes. On est en train de regarder ça dans le détail et à un moment donné, on verra si on est suffisamment solide sur le plan juridique pour reprendre les travaux. Ce que j’observe, c’est qu’il y a un vrai consensus dans les prises de parole du gouvernement et des hommes politiques d’ici, mais aussi de la FRBTP. Les gens qui soutiennent ce projet veulent qu’EDF se mobilise. Plus tôt on démarre, plus tôt ce sera fini, mais on a un certain nombre de risques à maîtriser avant d’y aller vraiment, dont le risque juridique. On est raisonnablement optimistes. Je suppose que les personnes à l’origine de ce contentieux juridique ont une analyse plutôt différente, mais nous, on trouve que la décision du tribunal reste plutôt favorable aux arguments d’EDF. On n’est pas arrogant, on est prudent, ce sont des sujets assez complexes. Le projet de Centrale du Larivot n’est pas porté directement par moi [il est porté par EDF PEI, ndlr], mais j’ai une place dans le système décisionnaire de la région.
On se dirige vers un nouveau prolongement de l’exploitation de la centrale de Dégrad-des-Cannes ?
Toutes les autorisations qui nous ont été adressées par la préfecture nous donne le droit d’exploiter cette centrale jusqu’à la fin de l’année 2023. En 2023, la centrale du Larivot ne sera pas prête. On est donc en train de regarder comment on pourra obtenir une nouvelle autorisation de prolongation de l’exploitation de la centrale de Dégrad-des-Cannes, qui pourrait être exploitée jusqu’en 2026. Il faut rappeler qu’on a pris deux ans de retard pour la centrale du Larivot. Au mieux, les travaux se termineront à la fin de l’année 2025. Il faut que la centrale de Dégrad-des-Cannes tienne jusque-là. On a besoin de moyens thermiques pour produire de l’électricité près de Cayenne.
L’IMPORTANCE DU BARRAGE DE PETIT-SAUT
En moyenne, la production d’électricité est assurée en grande partie par le barrage hydroélectrique de Petit-Saut. Quelles solutions alternatives vont être proposées, au sein de la prochaine PPE*, pour éviter les blackouts en période de saison sèche ?
Le côté extraordinaire aujourd’hui de la Guyane, c’est la place importante qu’occupe Petit-Saut dans la production d’électricité, soit environ 68 %. Quand on compare le mix énergétique de la Guyane avec celui d’autres départements français, on est stupéfait. C’est absolument atypique et paradoxalement cette qualité-là est aussi une sorte de fragilité. Les blackouts des mois de juillet et août concernaient l’hyper dépendance qu’on a vis-à-vis de Petit-Saut. On a besoin du remplacement de Dégrad-des-Cannes pour des raisons de sûreté de la production d’électricité. L’usine hydroélectrique produit environ 45-50% de l’électricité en période de saison sèche. C’est une raison de plus pour croire en la centrale du Larivot. La prochaine PPE pourrait de façon apparente faire la part belle aux productions alternatives, notamment aux énergies photovoltaïques. Certains opérateurs économiques craignent que le binôme Centrale du Larivot et Petit-Saut tue les filières de production, mais il y aura de la place pour tout le monde. Le sujet est plutôt de savoir s’il y aura suffisamment d’investissements. On a déjà de la place.
Des travaux de sécurisation sont prévus sur la centrale de Dégrad-des-Cannes ?
Il n’est pas question qu’on exploite Dégrad-des-Cannes de façon inappropriée et dangereuse. EDF fera les investissements nécessaires pour que cette centrale tourne en parfait respect de la législation.
LES PROJETS POUR MARIPASOULA
Dans les communes de l’intérieur, les limites des centrales thermiques ont refait surface. Avez-vous pu identifier clairement les raisons de la panne importante qui a impacté Maripasoula ?
On est surtout très mobilisé pour réparer la centrale thermique. Juste avant l’incident, il y avait 4 moteurs thermiques. L’un d’entre eux avait eu un incident ancien. On a ensuite perdu deux moteurs. Il n’est pas impossible qu’une première avarie sur un moteur ait généré une surcharge sur l’autre et ainsi de suite. Ce n’est toutefois pas la seule explication possible. L’analyse viendra peut-être un peu plus tard.
Quels sont les projets en lice pour éviter les délestages dans les communes de l’intérieur ?
A Maripasoula, le projet hydro-électrique de Saut-Sonnelle est toujours évoqué. Je ne pense pas que la PPE remettra en cause ce projet-là, pas plus qu’un autre projet de parc photovoltaïque et une future centrale à biomasse liquide. On veut que l’énergie soit produite de façon 100 % renouvelable, on ne peut pas continuer avec une centrale qui fonctionne entièrement au fioul. Il ne faut pas surinvestir le moyen de production actuelle. Ça rassure les habitants de voir EDF investir sur ce moyen de production, et en même temps ces investissements nous éloignent de la solution cible.
Sur le court et le moyen terme, quelles sont les solutions envisagées à Maripasoula ?
Ce qui est sûr, c’est que les moyens de production alternatifs portés par la PPE vont arriver. Le parc photovoltaïque est prévu pour 2024. On parle de 2026 pour le barrage hydroélectrique. Sur la centrale à biomasse liquide, on est à peu près sur le même timing, parce que le processus d’attribution n’est pas encore fait. Oui, la centrale actuelle sera exploitée jusqu’en 2028. Aujourd’hui, les habitants demandent un réinvestissement et ils ont raison. On m’a demandé de m’engager sur des nouveaux moteurs neufs, il y en aura 5, voire 6.
*PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie) : orientations et priorités d’action des pouvoirs publics pour la gestion de l’ensemble des formes d’énergie. Le contenu de la prochaine PPE (2023-2028), sera connu en janvier 2023.
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