Depuis fin septembre, le barreau de Guyane n’a plus qu’un seul avocat à Saint-Laurent du Maroni. En tant que porte-parole de la profession, Fabienne Landry, Bâtonnière, demande plus de moyens et une revalorisation de l’unité de valeur en lien avec les disparités territoriales face au rythme soutenu de l’activité pénale et au délitement des moyens de la Justice en Guyane.
Avocate depuis près de 15 ans, Fabienne LANDRY a été membre du Conseil de l’Ordre pendant 7 ans avant d’être nommée Bâtonnière le 15 décembre 2021. Elle sera en fonction deux années durant.
Comment résumeriez-vous le rôle de Bâtonnier(e) ?
C’est tout simplement l’interface entre les avocats et « le monde extérieur », mais aussi les chefs de juridiction, les chefs de cours et les justiciables. Être Bâtonnière, c’est représenter la profession au niveau local.
Quel est l’effectif du barreau actuellement ?
On compte 78 avocats et notre équilibre est fragile. On n’a pas un barreau qui explose non plus face à l’augmentation de l’activité.
Les audiences des comparutions immédiates jugent de plus en plus de dossiers. L’activité pénale est décuplée avec l’augmentation des gardes à vue. Un rythme insoutenable ?
Aujourd’hui, il est à mon sens important, face à cette difficulté, que la Chancellerie apporte des moyens concrets au barreau de la Guyane. Aussi bien au plan financier que matériel, afin de participer à l’accès au droit, notamment dans les communes isolées. Nous n’aurons bientôt plus d’avocats à Saint-Laurent, commune qui va aussi, de facto, devenir « isolée ». Des propositions ont été faites, on demande le défraiement des frais kilométriques pour assurer les gardes à vue dans les communes en dehors de Cayenne ou encore une revalorisation de l’unité de valeur en fonction des disparités territoriales. Ce sont des pistes que la Chancellerie doit urgemment étudier de nouveau parce que la situation va effectivement devenir intenable. Concrètement, un avocat sur Cayenne qui se rend à Saint-Laurent du Maroni pour une garde à vue est défrayé de sa mission garde-à-vue, mais pas du déplacement. Quid des gardes à vue qui ont lieu beaucoup plus loin que Saint-Laurent ? Comment peut-on garantir aux justiciables d’être accompagnés d’un avocat ?
Qu’est-ce qu’Eric Dupond-Moretti vous a annoncé lors de son passage à la maison du Barreau (local des avocats à la Cour d’Appel de Cayenne) le vendredi 30 septembre ?
Il nous a demandé de nous rapprocher de son conseiller en charge des Outre-mer pour réactiver ces questions et réétudier les propositions faites en leur temps. Il nous a aussi réaffirmé qu’il avait bien conscience des difficultés telles qu’elles se présentent à nous. J’ai envie de dire nous avec un grand « N » puisque ça englobe tout le monde judiciaire.
Comment les dysfonctionnements de la justice se répercutent sur le justiciable ?
À partir du moment où on est auxiliaire de justice, forcément, on est impacté. De par son sous-dimensionnement, le greffe juridictionnel ne peut plus affronter toutes les tâches qui lui sont dévolues : les audiences, la rédaction des jugements, l’exécution des jugements. Des choses sont priorisées, et cela concerne particulièrement les audiences. Est-ce qu’il est raisonnable qu’une victime attende trois ans pour avoir son jugement alors qu’on sait qu’elle ne pourra pas saisir un fond d’indemnisation sans ce document ? C’est un exemple très criant des conséquences des dysfonctionnements qu’on rencontre aujourd’hui. Le client ne va pas aller se plaindre au greffe correctionnel ou chez les juges, mais auprès de l’avocat oui !
Face à l’augmentation des gardes à vue, êtes-vous aussi obligés de modifier l’organisation générale du barreau ?
Oui, on y est obligés parce que c’est quelque chose qui s’impose naturellement. L’avocat peut être présent en garde à vue, c’est un droit offert aux gardés à vue. Pour les mineurs, c’est obligatoire. L’augmentation des gardes à vue a nécessairement des répercussions sur notre Barreau et son organisation des permanences pénales. Passer de 300 à 500 gardes à vue par mois change la donne. Jusqu’en septembre, on avait deux avocats de permanence tous les deux jours. Ça ne suffisait pas, donc à partir du mois d’octobre, on passe à 3 avocats de permanence, toujours sur une durée de deux jours. À cet égard, je tiens à saluer l’engagement indéfectible de mes Confrères auprès du justiciable Guyanais dans toutes circonstances et pour leur courage au quotidien. Présents sur le site du Larivot pour assurer les audiences de la chaîne pénale d’urgence, ils doivent également assurer les audiences relatives à leurs propres dossiers. Ils font véritablement deux journées en une. Les permanences pénales rentrent dans le cadre de la commission d’office parce que c’est du pénal d’urgence.
Les avocats sont-ils de plus en plus commis d’office ?
Le quidam a tendance à assimiler la commission d’office et la gratuité. En réalité pas du tout. La commission d’office est un mode de désignation de l’avocat par le bâtonnier, il n’induit en rien sur la rémunération de ce dernier et encore moins sur la gratuité de sa prestation.
En l’absence de moyens pour payer un avocat alors que l’on souhaite son assistance, le justiciable doit déposer auprès du SAUJ [Service d’Accueil Unique du Justiciable] un dossier d’aide juridictionnelle et, dans le cadre de cette demande, un avocat lui sera désigné au titre de cette aide.
Vous observez une augmentation de l’activité criminelle ? Peut-on dire que l’activité pénale augmente proportionnellement avec le nombre de gardés à vue et d’opérations de forces de l’ordre ces temps-ci ?
Je pense qu’il y a une augmentation de l’activité criminelle, il faut être réaliste sur la situation. Après il y a aussi une réaction pénale et judiciaire qui est là et qui fait que les interpellations sont régulières et dans un laps de temps très court. Ça entraîne une activité de permanence soutenue pour les avocats et pas que pour les gardes à vue. La permanence instruction devient aussi très lourde, la permanence des mineurs ne faiblit pas et ne va pas faiblir également.
La présidente de la Cour d’Appel exprimait pendant la visite du Garde-des-Sceaux son souhait de recruter localement pour les postes de magistrats vacants. La profession d’avocat pâtit-elle aussi d’un manque d’attractivité et d’un difficile retour au Péyi des diplômé(e)s ?
Je pense sincèrement que l’Université de Guyane est un vivier pour la Guyane et pour le monde judiciaire Guyanais. Faire venir des gens de l’extérieur, leur donner les moyens d’être tentés par l’expérience Guyanaise, c’est très bien. Mais on a les ressources sur place. Des gens qui ne veulent pas partir et qui sont qualifiés. Ce serait dommage de laisser de côté ces talents et de ne pas les utiliser à leur juste valeur. Ça vaut aussi pour le monde des avocats. Je suis persuadée que bon nombre des étudiants qu’on a jusqu’en Master 2 auraient envie d’embrasser la profession, mais que faute de structures sur place pour les accompagner (IEJ, CRFPA en formation initiale), ils abandonnent le projet et choisissent d’autres voies. C’est dommage ! Au niveau du barreau, on souhaite engager une véritable réflexion avec l’Université de Guyane sur cette question pour nous permettre d’avoir des effectifs supplémentaires.