Nommé président du Comité Régional des Pêches Maritimes (CRPM) le 27 mai 2022, Léonard Raghnauth livre un entretien sans filtres à Mo News. Dirigeant d’une entreprise familiale, il compte bien se faire entendre auprès des élus locaux et de l’État pour passer un message fort : la pêche illégale est un fléau, qui nécessite des actions concrètes. Interview.
Revenons sur votre parcours, comment êtes-vous devenu président du CRPM ?
Cela fait 16 ans que je suis dans la pêche, j’ai une entreprise familiale dont je suis le gérant. J’ai toujours été impliqué au Comité Régional. J’étais dans différentes commissions, notamment au cours des prospections de pétrole en 2019. J’ai aussi été président de la commission licence de pêche, ressources halieutiques et environnement sous la mandature de Jocelyn Médaille. Lors du décès de Georges Michel-Karam, Aland Soudine a été nommé président par intérim durant 8 mois, puis finalement on a eu les grandes élections en Mai 2022. Une nouvelle équipe qui a de nouvelles ambitions a été mise en place, dans la continuité de l’action déjà instaurée. Ce qui a changé, c’est la manière d’agir. On veut fédérer et rassembler la filière parce qu’on était un peu éparpillés. L’idée aujourd’hui, c’est de réussir ensemble. Il y a des dossiers brûlants.
Combien d’armateurs de pêche recensez-vous actuellement ? La filière voit-elle ses effectifs baisser ?
On a 45 armateurs présents sur le territoire. Au CRPM il y a un quota de licence qui s’établit à 130. Vers 2015, la capacité de licences a augmenté, car il y avait une forte demande et la ressource était là. Aujourd’hui, en 2022, nous avons attribué 93 licences, dont 60 qui sont renouvelées. Sur 130 licences possibles, on a donc seulement 45 navires qui pêchent régulièrement. Vous voyez que 33 licences [50 euros annuels, ndlr] ont été accordées cette année, mais la plupart des pêcheurs ne sont même pas venus récupérer leur licence de pêche puisqu’ils ne naviguent pas.
À quoi cela est dû ?
Au manque de main d’œuvre, mais aussi à la pêche illégale qui envahit tout. On est laissé pour compte par l’État, abandonnés. Dans son plan de réforme administrative, l’État n’accompagne plus la filière. À la Direction de la mer par exemple, il y avait à une époque des personnels pour l’accueil, la sécurité sociale, les déclarations de mouvement… Ça ne se fait plus. Alors aujourd’hui, quand on a un armement, on se retrouve à tout gérer du jour au lendemain.
Hormis la pénurie de main d’œuvre et la pêche illégale, qu’est-ce qui freine la filière ?
Le manque d’infrastructures et tout le reste… Mais aussi la pénibilité du travail. On est en Europe, il faut qu’on arrive un jour à obtenir les équipements pour travailler dans de bonnes conditions. Je parle de vestiaires, de machines à glace modernes. D’un côté, on nous réclame de respecter les normes européennes, de l’autre, au niveau de la qualité de vie des personnels embarqués, c’est zéro. On est loin du compte.
La CTG pourrait reprendre la « compétence pêche » ? C’est un des enjeux des discussions du moment ?
Honnêtement, on va dire que la dernière mandature au CRPM a souffert d’un manque de communication. Aujourd’hui, on s’attèle à la tâche, on fait beaucoup de lobbying, on participe à la plupart des rencontres et on va se donner les moyens de se faire entendre. On fait le forcing pour ça. La CTG a son rôle à jouer puisqu’elle est en charge du développement économique, qui englobe la pêche. Dans la réforme du code minier, la collectivité a pu demander à l’Etat de signifier à l’Europe qu’elle prend en charge la gestion des 100 000 nautiques. C’est ce qui a été fait pour le pétrole. Il fallait faire la même chose pour la gestion des ressources halieutiques.
« Les outre-mer au cœur de la stratégie maritime nationale »
Un rapport en date de février 2022 intitulé « Les outre-mer au cœur de la stratégie maritime nationale », notamment signé par la délégation sénatoriale aux Outre-Mer (dont Marie-Laure Phinéra Horth, sénatrice de Guyane, fait partie), établit : « les rapports internationaux aujourd’hui publiés indiquent que les ressources à l’échelle du plateau des Guyanes sont en situation de surpêche. Les indices en Guyane française ne sont pas aussi drastiques ; cela est le résultat d’une pêche limitée et durable par la profession depuis plus de 30 ans. Des exercices de gestion durable ont ainsi été mis en œuvre par les professionnels, avec le soutien de la collectivité locale. Il serait ainsi utile que la collectivité territoriale de Guyane (CTG) demande la délégation des 100 000 nautiques auprès de la France, qui pourrait le signaler à la Commission européenne. Ceci n’a pas pour effet de supprimer les responsabilités régaliennes de l’État, mais confère un droit de regard local sur la gestion des ressources, dont nous nous sommes montrés capables. »
Justement, vous souhaitez vous faire entendre par qui ?
Particulièrement par la CTG. Les oreilles sont bien tendues, on nous entend et on nous écoute, mais on a besoin de plus. Je parle aussi de l’Etat dans le cadre de la lutte contre la pêche illégale. Il faut bien rappeler que c’est un fléau qui dure depuis de nombreuses années. On nous répète à chaque fois que l’État n’a pas de baguette magique et que ce n’est pas le père Noël, mais ce n’est pas ce qu’on veut entendre. On a fait la marche contre l’insécurité du vendredi 2 septembre. Ce qu’on vit en mer en Guyane, c’est exactement ce qu’on vit sur la terre ferme, voire en pire parce que personne n’est là pour le constater. Notre péyi, nos eaux guyanaises sont récupérées par d’autres. Nous avons su préserver cette ressource en utilisant des types de pêcherie, des bateaux qui respectent les normes, pour nous assurer que nos enfants pourront profiter de cette ressource. Aujourd’hui, on est moins confiant pour la transmission. Les pêcheurs illégaux adaptent leurs moyens avec des équipages plus grands, parfois 6 ou 8 marins, des filets plus longs… Alors que nous, on est limité par un système de taxation qui actuellement fait tâche régionalement parlant.
Le contexte géopolitique n’arrange rien…
On est entouré d’une puissance mondiale, le Brésil, et du Suriname qui vient récupérer notre produit et qui en plus nous fait concurrence sur notre propre marché avec l’appui de l’Europe. Ils proposent des produits ACP [Afrique, Caraïbes, Pacifique, des produits qui font l’objet d’un accord de pêche avec l’Union Européenne, ndlr] qu’ils peuvent exporter sur le marché européen sans aucune taxe. Nous, aujourd’hui, sur le vivaneau qui est un produit guyanais pêché par des Vénézuéliens sous licence communautaire, on se voit imposer une taxe de 15 %. C’est considéré comme du poisson importé alors que c’est produit localement !
Comment mieux protéger le secteur ?
C’est le rôle régalien de l’État. Il faut nous protéger. Le comité a toujours participé à la mise en place de moyens nautiques afin de sécuriser les eaux guyanaises. On a inauguré la Carouanne [embarcation relève-filet de la marine nationale, inauguré en 2015, ndlr], qui récupère les filets de pêche. Pourquoi ? Parce qu’on a pu démontrer que l’élément le plus coûteux pour les pêcheurs illégaux est le filet de pêche. Nous, on a environ 2500 m de filet. Eux [les pêcheurs illégaux], ils viennent avec 5, 6 ou 7 km de filets. Donc, on a opté pour un navire qui sanctionne ces gens-là en récupérant les filets. Apparemment, l’Etat n’a pas les moyens d’aller au plus proche des côtes à cause des tirants d’eau. Ils ont créé des unités légères. Mais la semaine dernière, un plaisancier de Guyane a été interpellé, vidéo à l’appui, alors qu’il était entouré de pêcheurs illégaux. Ils sont venus contrôler son bateau alors qu’il faisait une pêche de plaisance… Ça en dit long sur la situation en ce moment. La stratégie de défense et de protection de la filière pêche n’est pas suffisante.
Aux dernières nouvelles, deux tiers des ressources halieutiques dans les eaux guyanaises étaient captées par la pêche illégale. Ce sont les chiffres que vous avez ?
Oui, depuis ce rapport de l’IFREMER [L’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer] on n’a pas eu d’autres chiffres. D’ailleurs, on attend une autre étude importante sur la disponibilité de la ressource. C’est ce qui va conditionner le renouvellement de notre flotte en 2023. Pour que l’Europe finance ce renouvellement, il faut prouver qu’on ne va pas « taper » dans une ressource qu’on a su protéger depuis de nombreuses années. Sauf que cette ressource se fragilise automatiquement à cause de ceux qui pêchent le plus. En d’autres termes, les pêcheurs illégaux. Vu que l’État ne protège pas les citoyens guyanais, on se retrouve envahis par des gens qui surpêchent et les pêcheurs guyanais paient les pots cassés. Il y a un ras-le-bol général chez les pêcheurs. On est peut-être des gens à part, mais on est quand même le troisième secteur économique, pour environ 2500 emplois directs et indirects. Il faut aussi rappeler qu’on est autosuffisant au niveau de la consommation locale et que le surplus de notre production est exporté. On parle de souveraineté alimentaire dans la politique. Nous, on a su le faire et pourtant les prix du poisson n’ont pas augmenté, même pendant la pénurie due à la forte pluviométrie.
Comment expliquer la faible présence des poissons cette année, décrite par José Achille dans un récent reportage à la télévision ?
Depuis l’année dernière, on a des épisodes de pénurie de poissons qu’on n’arrive pas encore à expliquer. On a eu une forte pluviométrie en Guyane, c’est exceptionnel. Cette chute de production atteint 60 à 70 % sur le premier semestre 2022. Des usines ont dû mettre le personnel en chômage partiel.
Le sujet des stocks de crevettes revient régulièrement. Idem pour l’acoupa rouge. La ressource disparaît, ou alors, il s’agit d’une baisse de la fréquence de pêche ?
Dans les années 80, il y avait une centaine de chalutiers, on pêchait 4 000 tonnes par an. La flotte d’Unifipeche de 24 navires [armateur spécialisé dans la pêche de crevettes] est partie récemment. Aujourd’hui, on a 15 licences de crevettiers en Guyane. Sur les 15, 5 naviguent régulièrement. Cette flotte est vieillissante et coûte de l’argent. On ne peut pas parler de surpêche de la crevette puisqu’on a chuté en termes de chalutiers. Ce n’est peut-être pas une baisse de production, mais une baisse de débarquement par rapport à la concurrence des pays voisins. Tout est lié.
L’acoupa en danger
Depuis une étude de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, l’acoupa rouge est classé en tant qu’ « espèce vulnérable ». Selon des observateurs, la prochaine étude pourrait classer l’espèce « en danger ». L’acoupa est le poisson le plus pêché de Guyane. Depuis plus de vingt ans, sa vessie natatoire, qui était jetée en mer auparavant, a pris une valeur commerciale exponentielle. Les vessies natatoires des grands acoupas du monde entier sont prisées sur le marché chinois, à la fois comme met culinaire de luxe servi principalement en soupe, mais également dans la médecine traditionnelle pour régler des problèmes de peau et de fertilité. Résultat : la pression de pêche sur l’acoupa rouge a considérablement augmenté.
La pression halieutique dépend donc directement de l’activité des pêcheurs illégaux, responsables d’une véritable razzia ?
On a trois catégories de navigation, les canaux créoles, les canaux créoles améliorés (capacité de pêche de 4 jours), et les tapouilles. De novembre jusqu’à mars, les petits bateaux restent à quai à cause des conditions météorologiques. Naturellement, cette ressource a le temps de se refaire. Mais aujourd’hui, les pêcheurs illégaux viennent, tout au long de l’année, avec des mailles de filets plus petites. Résultats, même les poissons juvéniles sont capturés. Les pilleurs ne respectent rien et sont laissés là, comme s’ils étaient chez eux…