Dans le numéro 16 de REC, le témoignage de cette mère d’enfant polyhandicapé vous avait ému. À quelques semaines d’une lourde opération pour sa fille, Katiana Télémaque, nous raconte comment se sont passés les derniers mois pour sa fille et elle.
VIDEO
,
Que s’est-il passé dans votre vie et celle de votre fille depuis ces derniers mois ?
Depuis ces derniers mois, on a eu un rendez-vous à notre retour de métropole qui nous a confirmé que sa hanche ne restait pas en place. Donc du coup, on doit repartir début novembre pour faire une reconstruction de sa hanche et peut être une arthrodèse qui est une opération du dos.
Est ce qu’il y a des choses qui ont évolué sur l’offre de soins?
Sur l’offre de soins ? Non, ça n’a pas plus évolué que ça concernant les enfants. Mais on a la chance maintenant. Depuis Novembre 2001, on a une cardio pédiatre en Guyane, mais c’est la seule. Donc pour les rendez-vous, il faut attendre. Quand elle est en vacances, parce que bien évidemment, elle a le droit de prendre des vacances, il n’y a pas de rendez vous. On a des orthopédistes qui viennent en Guyane mais qui ont repris les opérations qu’au cours du mois de juin parce qu’avant ça, il n’y avait pas de blocs opératoires disponibles. Donc pour le moment, il manque encore une offre de soins, que ce soit au niveau hospitalier ou au niveau accueil pour les enfants handicapés.
Comment vous êtes-vous organisée lors de la dernière grève de l’ IME YÉPI KAZ ?
Nos enfants sont restés à la maison et financièrement on se débrouille à trouver du monde qui accepte de les garder en étant payés un minimum. Moi, j’ai eu la chance de pouvoir trouver deux personnes. Maintenant, elles sont à trois qui acceptent que je les paye très peu en fonction de la situation, mais qui s’en occupent merveilleusement bien. Quand je pars le matin, je sais que je confie ma fille à du monde compétent, attentionné, en qui j’ai une entière confiance. Mais du coup, financièrement, l’argent sort de notre poche et on n’a pas eu d’aide pour ça. On a réclamé un courrier à la direction informant qu’on avait dû se débrouiller et garder nos enfants jusqu’à mi-octobre pour qu’on puisse éventuellement avoir une aide financière. La grève s’est arrêtée mi-octobre 2021. On est fin 2022. On n’a toujours pas ce petit courrier que nous attendons.
Est-ce qu’un départ de la Guyane est obligatoire lorsqu’on veut que notre enfant soit pris en charge correctement dans des cas comme le vôtre ?
Malheureusement, oui, parce qu’il n’y a pas de spécialistes pédiatriques en Guyane, que ce soit pour l’orthopédie, la neuro chirurgie même la cardiologie et qui puisse opèrer. On a une cardio- pédiatre mais elle n’opère pas. Donc oui, ça passe malheureusement par des EVASAN (évacuation sanitaire de malade), que ce soit vers les Antilles ou vers la métropole. Moi, j’ai choisi de partir en métropole parce que j’ai de la famille et des amis là bas. C’est bien de partir aux Antilles, c’est plus près et les billets un peu moins chers. Mais si à côté, on n’a pas le soutien moral, ce n’est pas la peine. Par exemple, avec ma fille, je pars pour trois ou quatre mois. Si je me retrouvais toute seule dans une ville sans soutien moral, sans soutien physique. Honnêtement, je n’aurais pas tenu.
Où en est-on de l’accompagnement et du soutien des parents d’enfants handicapés en Guyane ?
On est complètement zéro. D’ailleurs, à la réouverture de la structure, ce que les parents ont reproché à l’IEM, c’est que leurs assistantes sociales, sur cinq ou sept semaines de grève, n’ont pas appelé un parent, ne serait ce qu’une seule fois pendant toute la grève, pour demander si ça allait, si psychologiquement ils s’en sortaient, si ce n’était pas trop dur, s’ils n’étaient pas trop fatigués. Non, on a eu aucun appel de la psychologue pendant la grève et même après, on n’en a pas eu pour nous demander comment on s’était senti pendant la grève. Rien, aucun accompagnement psychologique.
Financièrement, ça se passe comment ?
Financièrement, on fait avec les moyens du bord. Honnêtement, moi, ça va, j’ai. Alors moi, c’est un défaut professionnel parce que je suis une ancienne comptable. Tous les mois, je fais des budgets, je calcule tout. Après le dix du mois, je suis à découvert. J’ai découvert parce que même si on touche l’allocation enfant handicapé et même si on a le complément, ce n’est pas suffisant si on travaille pas à côté. Ça fait quatre ans que je travaille pas et cette année j’ai également décidé de retourner à l’école et pendant mon année de formation, je ne suis pas payée. Je suis payée par le Pôle emploi environ 500 euros. Mais avec ça, tu ne fais pas grand chose. Donc financièrement, il ne faut pas être dépensier. Il faut penser d’abord à son enfant. Tant qu’il y’a de quoi manger, s’habiller.Moi, je peux me retrouver à manger des petits paquets de soupe pendant une semaine.
Comment avez-vous décider de faire une cagnotte ?
Alors la cagnotte , j’ai beaucoup hésité à la faire. J’aurais dû la faire depuis le mois de mai. J’en ai parlé autour de moi, à mes amis, et elles m’ont toutes dit « Mais oui, fais la cagnotte ! » , mais moi, je suis quelqu’un d’assez fière. Je n’aime pas demander de l’aide et encore moins de l’argent. Et elles ont insisté en m’expliquant que d’autres font des cagnottes pour partir en voyage, pour s’offrir des cadeaux. Et je me suis dit « Mais non, mais je peux pas faire ça ». Elles m’ont dit « Et pourquoi pas ? » C’est pour une bonne cause !. J’ai hésité. J’ai attendu un mois et début juin, je me suis dit « Bon, on va essayer, pas sûr que ça marche, mais on va quand même essayer ! « . Aujourd’hui, on en est à 3803 € environ. Quand j’ai vu le montant, je me suis rendu compte que les gens étaient solidaires en Guyane. On n’en a pas conscience, tant qu’on n’est pas confronté à la situation. Mais il y a une solidarité. Il y a eu des connaissances, de la famille, des amis qui ont cotisé. Il y’a même eu des anonymes, des gens que je connais pas du tout, qui ont cotisé. Il y a des gens qui ont donné une très bonne somme,100 €, mais que je ne connais pas. Je me suis dit « Wow ! ». La cagnotte, je ne l’ai pas encore refermée. Je la laisse ouverte jusqu’à début août, puiqu’on part début août. Je la fermerais certainement le jour de notre départ et en même temps je remercierai sur les réseaux sociaux ceux qui ont participé. Mais j’avoue que j’ai été surprise.
Après, j’ai beaucoup m’ont demandé pourquoi je faisais une cagnotte puisque je pars en EVASAN. Alors effectivement, la Sécurité sociale paye le billet. Pour l’hébergement, c’est dans un centre d’hébergement qu’on te met. Être dans un centre d’hébergement pendant 1 à 3 semaines, ça va, mais y rester pendant trois ou quatre mois, il n’y a pas d’intimité. En fait, tu as l’impression que tu es toujours là avec du monde. Il n’y a pas cette intimité que tu as quand tu es chez toi, par exemple pour la cuisine commune. Donc tu peux avoir peur qu’on te prenne tes affaires. Donc moi, j’ai fait le choix de ne pas aller dans un centre d’hébergement. J’ai trouvé un hébergement particulier, je suis assez content parce que j’ai trouvé assez vite. Et la sécurité sociale en fonction de tes revenus, donne 80 € par mois. Normalement c’est 80 € sur trois fois pour toute l’année. Pour l’année derrière j’avais eu 80 € et 40 € alors que j’y étais restée trois mois. Donc j’ai eu 120 € pour trois mois, 120 € pour trois mois. Honnêtement non !
Comment se porte Keylany ?
Aujourd’hui, elle va bien. Malgré le déplacement de sa hanche et malgré son genou qui aujourd’hui est gonflé et douloureux, elle va bien. C’est une enfant qui ne souffre pas de la douleur. Je ne sais pas comment elle fait, mais elle a une énorme résistance à la douleur.
Comment faites-vous pour toujours rester positive et ne pas baisser les bras ?
Déjà je me dis que quand je me réveille le matin, que ma fille se réveille et que je vois son énorme sourire, je me dis ça, je ne peux pas me plaindre. C’est elle qui souffre, c’est elle qui est handicapée. Je ne peux pas me plaindre. Et puis après, je me dis « Mais il y a pire que toi ! » Oui, je sais si je vis quand même une situation difficile, mais je me dis il y a pire que toi, t’as quand même la chance d’avoir un enfant. Il y en a qui n’ont pas d’enfant. T’as quand même la chance de pouvoir communiquer à ta manière avec ta fille . Il y en a qui ont des enfants avec qui ils ne communiquent pas du tout, qui sont dans le coma, qui sont en état végétatif. Et puis je me dis avec le Covid , on a vécu des choses tellement difficiles. Donc j’ai envie de vivre sans sans regrets. C ‘ est une opération assez difficile , a vec un énorme risque puisque l’année dernière quand on l’ a opéré e, deux jours après l’opération, elle est retournée en réanimation. Et là, l’opération un peu plus grosse, plus difficile, elle est beaucoup plus risquée. Donc on peut avoir un risque qu’elle ne se réveille pas de l’anesthésiste. O n m’a même demandé de venir avec son dossier palliatif de la mienne, donc je me dis je préfère profiter de ne pas avoir de regret.
Lien de la cagnotte : https://www.cotizup.com/pour-keylany
Propos recueillis par K.Hacouaby