Philippe Bouba se livre. En cette fin d’année, le 5e vice-président de la CTG, élu avec Gabriel Serville en juin, dresse le bilan des 6 premiers mois de mandature et évoque les perspectives pour 2022. Celui qui en moins ‘d’un an est passé du rang de syndicaliste à Sud à celui de vice-président de la Collectivité territoriale et figure de proue de LFI Guyane Insoumise, est annoncé partant pour les législatives comme candidat sur la 1ere circonscription. Ce que Philippe Bouba confirme : « Philippe Bouba sur la 1ère circonscription a été proposé par les camarades et c’est toujours à l’ordre du jour. Le processus est en cours, en cours de réflexion de mon côté ».
Celui qui a gardé son métier de professeur au lycée de Balata évoque aussi la période de tensions et les attaques qu’il vient de connaître et qui sont apparues plus visibles en marge de la visite de Jean-Luc Mélenchon (voir Mo News 38 du jeudi 25 décembre) ainsi qu’une rivalité avec le 3e vice-président Thibault Lechat-Vega, annoncé lui aussi sur la « 1ere circo ». Interview intégrale.
LFI vient de présenter le programme présidentiel de Jean-Luc Mélenchon… Quel est le projet phare du parti ?
L’Avenir En Commun 2022 a une ambition : l’harmonie entre les êtres humains entre eux et avec la nature. L’AEC a des objectifs : une nouvelle démocratie par l’instauration d’une 6ème République, la planification écologique comme garant d’une gouvernance à la hauteur des enjeux futurs et le progrès social et humain par l’élaboration de lois au plus près des préoccupations des peuples de l’Hexagone et des TOPIA (Territoires des Océans Pacifique, Indien et Atlantique). L’Union populaire autour du candidat Mélenchon se bat notamment pour l’émancipation de la personne humaine, la laïcité et la justice sociale. Lors de mon dîner avec lui pendant son séjour en Guyane, je me suis aperçu qu’il était totalement à l’écoute de toutes nos difficultés, malheureusement accentuées il est vrai, depuis la pandémie (logement, santé, éducation, etc.). C’est un militant de la classe ouvrière, de la cause populaire. De plus, cette rencontre m’a permis d’échanger sur sa stratégie politique pour les échéances électorales de 2022.
« Le pouvoir à Paris ne nous considère pas »
Quel est l’enjeu majeur au niveau de LFI en ce qui concerne la Guyane ?
L’enjeu ne concerne pas le mouvement politique dont je fais partie mais plutôt notre territoire. En effet, la Guyane a besoin d’un président qui sache que ce « péyi » n’est pas une île, de ministres qui seront à l’écoute de la population et des parlementaires qui ne changeront pas de discours après un déplacement en avion de 8000 kilomètres. La Guyane a besoin de respect. Et je pense que notre force politique permettra aux habitants du littoral, de l’Est, de l’Ouest et du fleuve de l’obtenir.
J’ai compris à la lumière d’une lutte, pour des moyens financiers et humains pendant l’Acte 1 de la Covid-19 au sein du Mayouri Santé Guyane, que le pouvoir à Paris ne nous regarde pas, ne nous considère pas, ne nous écoute pas, ne nous parle pas. Seulement… des venues de ministres sans consistance et cohérence… c’est ce que j’avais observé et analysé en étant un des porte-paroles de ce collectif aux côtés d’Yvane Goua, Yannick Xavier et Eric Louis. On aurait même pu se dire que l’argent dépensé pour de tels déplacements aurait été plus judicieusement utilisé pour l’achat de masques, gel et produits alimentaires. Au lieu de cela, des mains serrées diplomatiques, des mercis de façade, des photographies pour de la com’ et du kérosène parti en fumée…
C’est la Guyane qui souffre qui intéresse LFI Guyane insoumise car notre organisation refuse la fatalité et désire que l’intérêt général prime sur celui particulier. Ce territoire doit obtenir ce que ses militants réclament depuis des décennies. Et nous, militants de LFI Guyane insoumise, aux côtés de ses forces vives, nous comptons les appuyer.
Législatives : « LFI aura des candidats »
Après les présidentielles, l’autre rendez-vous politique de l’année, ce sont les législatives… LFI Guyane Insoumise aura-t-elle des candidats dans les deux circonscriptions ?
Sans aucun doute, LFI Guyane insoumise sera partie prenante des législatives, sera de la bataille électorale. Nous avons participé à la victoire à la CTG et à Apatou ; jamais deux sans trois, non ? Il y aura donc des candidates et candidats LFI, des militants de base, de terrain et qui se réclameront de l’insoumission politique dans les paroles et les actes.
Notre organisation a des adhérents et militants à Papaïchton, Maripasoula, Saint-Laurent, Apatou, l’Île de Cayenne, Iracoubo, Saint-Georges, Grand Santi, Montsinéry-Tonnegrande, Kourou, etc. Vous trouverez des insoumises et insoumis aux 4 coins de la Guyane. Mélenchon avait tout de même terminé 1er lors des présidentielles de 2017… Ainsi, comme vous pouvez le constater nous sommes en Guyane, de la Guyane. Notre mouvement est national, oui, mais également ici, à travers des syndicalistes chevronnés, des militants connus et reconnus, des adhérents et des élus LFI (Aline N’Guyen Van Vaï, conseillère municipale à Montsinéry-Tonnegrande, Julienne Totoe adjointe au maire de Grand Santi et moi-même 5ème vice-président de la CTG). Nous prônons toutes et tous le respect de la population et la loyauté par notre comportement à nos idées et valeurs belles et rebelles. Lors de sa rencontre avec les élus de la collectivité territoriale du 22 octobre, Jean-Luc Mélenchon m’avait d’ailleurs cité en indiquant qu’il me trouvait bien caractéristique de ce que c’était l’insoumission : refus de l’ordre établi car il est injuste et aspiration à un autre.
Votre nom a circulé Philippe Bouba pour être candidat sur la 1ere circonscription… Cela semblerait compromis… Que s’est-il passé ? Ou êtes-vous toujours motivé ?
Effectivement mon nom circule, d’ailleurs vous avez été le 1er à me l’annoncer. C’était le lendemain de la victoire de Moïse Edwin à Apatou. LFI avait soutenu ce candidat, car avant et pendant la campagne électorale pour la CTG j’avais longuement parlé politique avec un de ses futurs adjoints à la mairie et que notre adhérent LFI dans cette commune – et c’est la raison principale – nous avait indiqué qu’Edwin était la personne idoine pour un réel changement à Apatou.
Donc, je suis toujours autant motivé de servir et non de se servir. Un de mes anciens collègues au LP Castor m’avait dit un jour que j’étais « un militant au service du peuple » . Je considère que cela me correspond amplement. Et de ce fait, lors de notre 1er congrès des 29 et 30 octobre, Philippe Bouba sur la 1ère circonscription a été proposé par les camarades et c’est toujours à l’ordre du jour. Le processus est en cours, en cours de réflexion de mon côté. Mais c’est beaucoup trop tôt pour tirer des plans sur la comète – même si j’ai bien compris une chose en faisant de la politique, les couteaux dans le dos, les boules puantes, les individus malsains et les balles fusent à partir du moment où l’on ne dévie pas de son objectif initial : servir la population et aucunement placer les copains et les coquins.
Pour moi, cette crise sanitaire et sociale a obligé de changer de logiciel politique, de faire évoluer les stratégies politiques pour l’établissement d’un ordre juste et correct. Ainsi, je suis prêt à faire gagner dans les urnes le progrès social et humain. Le peuple de Guyane attend un changement. Mes camarades insoumis sont prêts à l’aider à l’obtenir voire à l’arracher.
« Nous sommes dans la même équipe »
La rivalité avec Thibault Lechat-Vega et sa proximité avec Gabriel Serville vous a mis en porte à faux ?
Je suis en opposition avec l’injustice sociale, la déscolarisation des jeunes, l’inégalité, l’exploitation des travailleurs, vous voyez, ma rivalité est d’ordre politique. Thibault et moi avons été ensemble pendant la campagne électorale puisque dans la « Petite Couronne » (ndlr : Matoury et Rémire-Montjoly), il était 7ème sur la liste et moi, tête de section. Il était membre du comité directeur et moi, co-directeur de campagne de Gabriel Serville au 1er et au 2nd tour. Nous avons donc œuvré avec tant d’autres à la victoire de Guyane Kontré Pour Avancer Sans Limites . Alors, pour moi, il est clair que nous sommes dans la même équipe au sein de la CTG. En revanche, il n’est pas membre de LFI.
Les tensions qui sont apparues en marge de la visite de Jean-Luc Mélenchon en Guyane sont apaisées ?
J’ai l’impression qu’en politique – pour de basses besognes – certains préfèrent entendre le mensonge que d’écouter la vérité. Je n’en dirai pas plus et suis sûr que la population n’est pas intéressée par de telles personnes. En Kabylie, il y a un proverbe qui dit : « Quand on arrive pas à atteindre la grappe de raisin, on dit qu’elle est acide » …
« Pour LFI, le sujet est clos »
Sherly Alcin, qui est élue avec vous dans la majorité à la CTG est-elle toujours à LFI ou a t-elle claqué la porte comme elle menaçait de le faire ?
Ce que je sais par mes camarades, c’est qu’elle n’avait pas répondu au message du 3 octobre indiquant « pour une bonne organisation [de notre 1er congrès] je vous demande svp de répondre directement par ce Whatsapp en mettant : « OK » pour ceux qui souhaitent participer ». De plus, lors de la prise de parole de Jean-Luc Mélenchon à la CTG le 22 octobre, sauf erreur de ma part, je n’ai entendu que mon prénom lorsqu’il a évoqué la mentalité insoumise. De ce fait, pour LFI, le sujet est clos.
Entre la CTG, le lycée de Balata, LFI Guyane insoumise, les différentes commissions, les mobilisations sociales ou encore sa vie de famille, les semaines de Philippe Bouba sont bien remplies (Crédit photo 📸 : CTG)
« Accompagner les jeunes et la recherche »
Vous êtes vice-président depuis 6 mois maintenant à la CTG sur un poste stratégique lié à l’enseignement supérieur et à la recherche. Comment avez-vous vécu ces 6 premiers mois ?
Le bilan est globalement positif. Dès ma nomination comme 5ème vice-président par le président Serville j’ai souhaité rencontrer, les services de la CTG, le président de l’Université, le directeur de l’IUT, la directrice de l’INSPE, le vice-président étudiant de l’UG, le vice-président étudiant du CROUS, les laboratoires, les organismes de recherche, etc. Les actrices et acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche car il était important d’être à leur écoute dès le début juillet car avant notre victoire il n’y avait pas de VP à l’ESR. Ainsi, depuis le 2 juillet tout le monde sait qui appeler, à quelle porte il faut frapper, vers quel élu il faut s’adresser. Et bien évidemment, j’ai aussi indiqué à toutes ces personnes l’ambition politique de l’exécutif qui a gagné les élections le 27 juin : hisser la Guyane au rang de carrefour mondial d’excellenceS. Je ferai tout mon possible avec cette délégation pour que tous les jeunes de la Guyane puissent obtenir leur propre excellence !
De plus, rester sur le territoire depuis la victoire m’a permis d’être toujours au plus près des sollicitations. Ma porte est ouverte, mon e-mail CTG et mon numéro de téléphone seront toujours disponibles pour toutes demandes et doléances. Le « je ne sais pas », je ne connais pas. En revanche, je me renseigne toujours pour revenir vers les personnes concernées. Et si ça ne concerne pas ma délégation, je transmets à qui de droit. J’ai donc vécu ces 6 premiers mois avec humilité et responsabilité.
Quels sont les dossiers majeurs que vous avez eu à gérer ?
Tout d’abord, il a fallu continuer à soutenir la communauté estudiantine impactée très durement de la crise sanitaire. Aides territoriales aux étudiants, paniers repas, tickets de bons d’achat, toutes ces mesures sont en cours de traitement par les services de la collectivité. Ensuite, comme la CTG à la charge de l’élaboration et de la mise en œuvre de la nouvelle Stratégie Régionale d’Innovation pour la Spécialisation Intelligente, j’ai présidé une réunion fin septembre où chercheurs, scientifiques, administratifs et politiques devaient se retrouver pour mutualiser leurs savoirs et savoir-faire. Enfin, j’ai rencontré le Groupement d’Intérêt Scientifique – Initiative pour une Recherche Interdisciplinaire sur les Systèmes et Territoires Amazoniens (vous y trouverez notamment l’Université de Guyane, le CNES, l’Ifremer, l’IRD, la MNHN, l’Institut Pasteur) pour leur dire que nous avons la volonté d’être à leur écoute afin de développer le territoire, aux côtés entre autres de la communauté scientifique de Guyane.
Pour 2022, quelles perspectives justement pour vos dossiers à la CTG ?
Poursuivre l’élaboration de la SRISI, aider la DOSIP à se développer, soutenir les projets des associations étudiantes, répondre aux manifestations scientifiques par ma présence, porter les chantiers et volontés du monde de la recherche et de l’innovation avec ma collègue Madame Rattier, s’ils correspondent à la ligne politique de Gabriel Serville et son équipe. Je vois ma délégation comme un outil destiné à l’ensemble de la communauté universitaire. Par exemple, nous sommes aux côtés de la directrice de l’INSPE car ces trois projets sont synonymes d’espérance et d’excellence pour les futurs enseignants de la Guyane. Laissons les experts et spécialistes s’exprimer. Soyons à leur écoute pour avancer.
« J’assume ce que je suis, un insoumis »
Vous êtes parmi les élus les plus actifs sur le terrain, présent à chaque plénière, lors des commissions, et vous continuez à enseigner au lycée de Balata… comment faites-vous pour tout gérer Philippe Bouba ?
J’ai la même activité militante depuis 2003. Je ne m’arrêterai que lorsque les souffrances des opprimés seront réduites à néant. Je n’ai pas changé. D’ailleurs ça m’a été reproché, c’est donc bon signe… J’assume ce que je suis – un insoumis et c’est la raison de ma présence à la CTG. Il me serait inconcevable de trahir la confiance que les personnes ont eu en moi en mettant un bulletin de vote. Mon militantisme date de mes années universitaires au sein d’organisations de jeunesse puis dans le syndicalisme enseignant. J’ai toujours œuvré pour l’intérêt des plus faibles, de celles et ceux qui ont trébuché et qui ne peuvent, pour l’instant, se relever sans soutien et solidarité. Je n’ai pas été élu pour faire de la figuration mais pour être dans l’action, aux côtés de la population.
Mon groupe politique fait partie de la Caravane pour la Liberté . D’ailleurs Jean-Luc Mélenchon l’avait rencontrée le samedi 23 octobre. Ce qui signifie bien que mes prises de position comme 5ème vice-président ou porte-parole de LFI Guyane insoumise correspondent totalement aux mandats nationaux – tout en prenant en considération la réalité locale.
Enfin, je fonctionne aussi à l’énergie politique et à la détermination. Le rassemblement du 27 juin 2021 autour de Gabriel Serville, j’en avais parlé à Davy Rimane en juillet de l’année précédente après une mobilisation du Mayouri Santé Guyane . Nous savions à LFI Guyane insoumise que le député de la 1ère circonscription allait permettre la victoire de la gauche guyanaise et de l’autonomie politique. C’est pourquoi nous avons été à l’initiative de plusieurs rencontres avec des partis politiques dès le mois de septembre 2020 dans le but de construire une union de gauche la plus large possible : PSG, Péyi Guyane, Guyane écologie, PPG (nous devions organiser une rencontre avec le MDES mais le 1er rendez-vous entre organisations avait été acté). Lors de chaque rencontre, LFI avait la même stratégie : l’union et Gabriel Serville président de la CTG. Par la suite, nous avons été de toutes les réunions unitaires (dont la 1ère avait été initiée par Davy Rimane), de toutes les cellules de travail, de toutes les concertations. Nous étions persuadés que la victoire était en nous, d’où notre activisme sans faille plusieurs mois avant le 1er tour.
*précision : sur la version papier, dans l’introduction de l’interview, la citation : « ma rivalité avec Thibault Lechat-Vega est politique ». Dans l’interview, Philippe Bouba a écrit « Ma rivalité est d’ordre politique » et n’a pas cité le nom du 3e vice-président dans cette réponse. Interview à lire en intégralité ci-dessus.