Une quarantaine de migrants arrivés récemment en Guyane et installés au square Damas, ont provoqué de vives réactions à Cayenne, de la part d’élus municipaux, mais également d’un chef d’entreprise, qui a proféré des menaces lundi matin, avant de mettre en place finalement une opération coup de poing lundi soir, qui a entrainé l’évacuation des migrants, qui ont été déplacés jusque devant la préfecture où ils ont passé la nuit, avec leurs affaires et des matelas. La Croix-Rouge a réagit et permis la prise en charge de 6 familles. Interpellé par la maire et les élus de la majorité de Cayenne ainsi que par le chef d’entreprise à l’origine de l’évacuation des migrants, le préfet n’a pas réagit, faisant valoir le « devoir de réserve » en période d’élection. Plusieurs syndicats dénoncent des « discours de haine ». Les habitants se sont aussi mobilisés. Mo News fait le point complet sur cet épisode marqué par de vives tensions avec l’ensemble des interlocuteurs du dossier. Retour en détail sur 48 heures explosives.
Une cellule de crise organisée par la maire de Cayenne
Le retour de migrants sur le front de mer à Cayenne a provoqué des remous au sein du conseil municipal. Hier un incident a éclaté en pleine visite des élus de la majorité municipale de Cayenne sur le site du square Léon Gontran Damas, rue Shoelcher où étaient installés depuis samedi 25 migrants syriens, après qu’ils eurent été délogés par la police municipale de la Madame Payé. Une scène qui s’est produite en plein live devant les caméras de nos confrères de Radio Péyi , en présence de la maire Sandra Trochimara et du 1er adjoint Christian Faubert, et de l’adjointe au logement insalubre Laura Hidair, qui était particulièrement énervée, comme vous pouvez le voir sur ce live de Radio Péyi :
« La colère cayennaise gronde »
La maire de Cayenne avait convoqué une cellule de crise ce lundi matin en mairie, puis rue Madame Payé et enfin au square Damas « pour faire un point complet sur la situation et surtout empêcher de voir se renouveler l’instauration de squats géants, tels qu’ils ont eu lieu ces deux dernières années des Amandiers jusqu’à l’anse chaton. C’est pourquoi la maire a demandé l’expulsion de la rue madame Payé samedi et va rédiger un arrêter anti-campement concernant l’espace du square Damas. « Je suis en colère parce que nous sommes confrontés à une situation inqualifiable. Au delà de toute la misère humaine (…), nous ne sommes plus en mesure d’accepter cette situation. J’ai alerté le préfet que la colère cayennaise gronde . Je suis exaspérée parce que ce sont les prémices d’un nouveau camp. Ce camp ne restera pas là. »
Une expédition citoyenne pour chasser les migrants
Suite aux propos de la maire de Cayenne hier matin, un riverain, chef d’entreprise, est intervenu, là aussi pendant le live de Radio Péyi. Jérémy Harrous, a interpellé directement Sandra Trochimara. « Vous avez dit une chose. Vous avez un joli discours politique » a dit Jérémy Harrous à la maire en direct, laquelle s’est fâchée sous les yeux des internautes : « Non non je ne vous permets pas et je ne vous autorise pas ! » Ce à quoi le chef d’entreprise a répondu « Vous ne m’autorisez rien du tout. Je dis ce que je veux. Je dis juste vous m’avez parlé de cellule de crise, de réunion, de machin…J’ai jamais entendu le mot action. C’est ça l’action ? » et de mettre en garde avant de repartir « rendez-vous demain ».
En fait, Jérémy Harrous avait annoncé son intention d’agir : « Si il n’y a pas de solution, moi je brûle ça demain matin » . Cette vidéo a fait le tour des réseaux sociaux. Un rendez-vous avait été fixé pour ce mardi 8 heures ce matin pour passer à l’action. Finalement, Jérémy Harrous a agit, mais hier soir. Avec plusieurs amis, ils se sont rendus hier soir à 19h30 au square Damas et ont délogé les migrants et les ont accompagné à pied jusqu’à la préfecture. Jérémy Harrous explique sa démarché à Mo News :
« J’ai préféré le faire hier soir pour éviter qu’il y ait un incident ce matin alors que des gens voulaient venir. Moi je ne veux pas de mal à ces gens. Je veux juste qu’on fasse les choses. Ils n’avaient pas le droit d’être là. Ils dérangeaient. Nous avons agit. Nous avons nettoyé le square, et nous avons agit sans violence. Maintenant c’est au préfet de faire son travail et de passer à l’action. C’est pour ça d’ailleurs qu’on a accompagné ces familles devant la préfecture. Que chacun prenne ses responsabilités. » Et Jérémy Harrous de préciser : « Moi je fais pas ça pour passer à la télé. Je ne veux pas être un porte-drapeau, un porte-voix. Mais j’ai une entreprise qui est juste à côté de ce site. J’ai aussi un enfant que j’aimerai promener dans la rue sans avoir tous ces problèmes ».
Sur les réseaux sociaux, Jérémy Harrous a partagé un live depuis le kiosque Damas où il a fait une mise au point sur l’action menée : « J’avais donné rendez-vous demain, mais comme j’attends pas et qu’il y avait trop de monde qui étaient trop chauds pour faire des bêtises avec les gens, je suis arrivé avec deux trois soldats et puis on a juste tout nettoyé. On les a délogé et là on leur a demandé d’aller ailleurs. (…)Bon ben maintenant monsieur le préfet, c’est à vous de jouer ».
Les migrants déplacés devant la préfecture
Les migrants ont donc passé une partie de la nuit devant la préfecture de Cayenne, place Léopold Heder, avec leurs affaires, des matelas sur le sol, des enfants dormant devant les grilles de la préfecture, devant les yeux médusés de certains habitants, ou encore du député Gabriel Serville (également candidat à la CTG) qui s’est rendu sur place et des policiers de Cayenne, qui ont assisté aux événements de la soirée. Mo News était présent et vous a fait vivre une partie de la soirée sur nos réseaux sociaux.
Des appels à la solidarité
Parmi les réactions de la soirée, plusieurs habitants sont venus spontanément offrir leur aide aux migrants. C’est le cas de plusieurs bénévoles dans des associations humanitaires, mais aussi d’habitants qui, comme Jérémy Harrous dans un autre sens, sont passés à l’action. Exemple avec Gray Maasi. Ce Guyanais est venu avec sa voiture pour héberger des migrants. Il a proposé d’héberger quelques personnes pour quelques jours, en fonction de mes moyens. Son témoignage exclusif au micro Mo News :
Certains syndicats dénoncent des « discours de haine »
Certains syndicats sont montés au créneau pour soutenir les migrants. C’est le cas de la FSU. Dans un communiqué de presse, la FSA « réaffirme ses valeurs de solidarité et de fraternité » . Le syndicat fait le lien avec la journée du 10 Juin qui commémore l’abolition de l’esclavage. La FSU dénonce « des discours de haine, de rejet et de discrimination sous prétexte que certains seraient responsables des maux de notre société » . La FSU parle de « honte » : « honte à ceux qui soufflent sur les braises de la haine pour manipuler les masses. Honte à ceux qui se laissent emporter par lâcheté et envie de se défouler. Honte à ces élus populistes qui pensent nous représenter. Ils sont indignes et répugnants. » La FSU déplore ensuite « l’inaction des services de l’Etat » ainsi que « le silence assourdissant des candidats aux élections à la CTG » ainsi que celui de « la justice face à ceux qui prônent la haine » .
De leur côté, la Cimade, la Ligue des Droits de l’homme, le Réseau Education sans frontière (RESF) et le syndicat Sud Education, ont rédigé un communiqué commun où ils apportent un « soutien » à la mairie de Cayenne « qui semble enfin prendre à bras le corps le problème du mal-logement et du non-logement dans sa commune » . Les syndicats et collectifs remercie enfin la maire de Cayenne Sandra Trochimara pour « sa participation à la la bonne installation des étrangers primo arrivants de toutes origines » . Un communiqué dont il est quand utile de souligner l’ironie…
Les migrants sont restés à la rue lundi soir et une partie de la nuit sur la place Heder devant la préfecture
La préfecture ne souhaite pas communiquer
Contactée, la préfecture ne veut pas communiquer à ce sujet. La préfecture fait valoir « le devoir de réserve » du préfet en raison de la campagne électorale et renvoie sur le DGSCP (Directeur général du service cohésion des populations), Didier Duport, qui a répondu hier à nos confrères de Guyane La 1ere mais qui n’était pas disponible aujourd’hui. Didier Duport, a expliqué sur Guyane La 1ere que « de nombreuses places d’urgence ont été crées depuis la fin de l’année 2019 et que la capacité d’hébergement a plus que doublé en 18 mois en Guyane » . Et il a annoncé « la création de nouvelles structures d’hébergement » . En 2022, deux structures nouvelles vont voir le jour, dont une sera située à Collery, avec une capacité d’environ 250 places. Sur les faits de ces dernières 24 heures sur lesquels nous avons sollicité la préfecture, il n’y a pas eu de communication. Le service communication de la préfecture nous a renvoyé vers la Croix-Rouge qui a assuré la prise en charge des migrants depuis.
La Croix-Rouge a assuré la prise en charge de 6 familles
Le président de la Croix-Rouge en Guyane Benoît Renollet parle d’un problème de circonstance : « ce sont des personnes qui sont arrivées vendredi après-midi alors que les services de l’Etat étaient fermés. Ils sont restés dans une rue visible, ce qui a entraîné une communication importante. Il y a une conjonction d’événements et le fait que ce soient des familles, et donc une grande visibilité. Dès hier, ils ont été enregistrés à la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile, situé rue Madame Payé, et qui est le point d’entrée pour les demandeurs pour la Guyane » . C’est en effet là où arrivent les migrants qui veulent faire la demande d’asile sur le territoire. Ensuite, ils ont été orientés au guichet unique des demandeurs d’asile à la préfecture, où ils sont enregistrés avec une évaluation en matière d’aide matérielle, réalisée par l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration). C’est là que la demande d’hébergement est formulée, ce qui normalement prend 24 à 48 heures pour la prise en charge des personnes les plus vulnérables, sachant que dans le dispositif actuel ce sont uniquement les personnes vulnérables qui sont prises en charge (plus de 70 ans, familles avec mineurs de moins de 16 ans, personnes handicapées et femmes enceintes). « Ils peuvent ainsi avoir un hébergement temporaire » rappelle le directeur de la Croix-Rouge en Guyane. 6 familles ont ainsi été prises en charge, ce qui correspond à une petite quarantaine de personnes. « Il s’agit de familles identifiées arrivées vendredi après-midi sur le territoire pour la majorité ainsi qu’une ou deux supplémentaires qui étaient déjà arrivées quelques temps auparavant en Guyane, mais qui avec la médiatisation de ces deux derniers jours se sont faites enregistrées » nous a précisé Benoît Renollet.
Ce sujet reste plus que jamais sensible. Les riverains du quartier ont saisi la mairie pour lui demander d’agir rapidement après l’arrivée de près de 30 nouveaux migrants il y a une petite dizaine de jours, alors même que les frontières sont fermées et que la population guyanaise est soumise à des restrictions sévères portant atteinte à la liberté de circulation, en raison des mesures de freinage mises en place pour lutter contre la pandémie de Covid19 et que le territoire est entièrement confiné depuis plusieurs semaines. « La mairie souhaite que les services de l’Etat réalisent au mieux l’évacuation de ces différents sites » a expliqué l’adjointe au logement insalubre Laura Hidair. « Nous avons travaillé ensemble pour évacuer les squats autant pour les riverains que ces personnes qui sont dans les squats » a rajouté Laura Hidair. Le CCAS (Centre communal d’action sociale) réalise des recensements régulièrement pour faire le point sur la situation et voir son évolution.
Menaces contre des journalistes de Guyane La 1ere
En marge de l’expédition citoyenne de lundi soir, organisée par Jérémy Harrous, des journalistes de Guyane La 1ere , qui étaient présents sur les lieux, ont été pris à partie. Ils ont été menacés afin qu’ils ne puissent pas filmer l’intégralité des événements. Ce mardi, les syndicats du SNJ, l’Unsa-SRCTA, et l’UTG de Guyane ont dénoncé à travers un communiqué des « menaces de mort » contre les deux journalistes de Guyane La 1ere et une « atteinte à la liberté de la presse et une menace grave à l’encontre de deux professionnels, touchés psychologiquement et moralement » . Des faits qui nous ont été confirmés directement par nos confrères lundi soir sur le terrain lorsque nous les avons croisé en reportage. Une plainte a été déposée et le procureur de la République Samuel Finielz a annoncé l’ouverture d’une enquête pour « menaces de morts sous conditions » confiée au service territorial de la police judiciaire (STPJ) de Cayenne. L’UPF (Union de la presse francophone) a apporté son soutien aux journalistes.
Mo News adresse son total soutien aux confrères et amis de Guyane La 1ere et dénonce cette atteinte au droit de la presse et à la liberté d’informer.
Voici le communiqué du SNJ, Unsa SRCTA et de l’UTG :
« Le SNJ, l’UNSA-SRCTA et l’UTG de Guyane la 1ère dénoncent des menaces de mort contre deux journalistes de la station Le SNJ, l’UNSA-SRCTA et l’UTG de Guyane la 1ère dénoncent les menaces de mort proférées lundi soir à Cayenne à l’encontre de deux journalistes de la station, les empêchant ainsi de filmer sur la voie publique. L’un de ces journalistes était venu couvrir une opération de délogement de force d’une trentaine de migrants qui campaient sous un kiosque en bord de mer. L’opération avait été annoncée par un habitant de Cayenne sur les réseaux sociaux. Le JRI a été directement menacé par le meneur de l’action : « Si tu me filmes, si je vois une image de moi, je te tue, je suis armé ». Ce journaliste était accompagné par un collègue de Guyane la 1ère qui passait par là et a tenté de défendre lui aussi le droit de filmer sur la voie publique. De fait, il a lui aussi été menacé. Guyane la 1ère n’a donc pas pu tourner le moment où les migrants ont quitté les lieux sous la menace, leurs effets étant embarqués manu militari dans une voiture. Ils ont ensuite été « conduits » à pied devant la préfecture par les « organisateurs » de cette opération. Le SNJ, l’UNSA SRCTA et l’UTG de Guyane la 1ère dénoncent une atteinte à la liberté de la presse et une menace grave à l’encontre de deux professionnels, touchés psychologiquement et moralement. »