Les commerçants de Guyane ne sont pas contents, et c’est un euphémisme que de le dire. Ils ont déposé hier matin un recours contre l’arrêté du préfet Thierry Queffelec, établissant la liste des commerces autorisés à ouvrir pendant le couvre-feu. Dans ce recours gracieux, les fédérations de commerçants, remettent en cause la légalité du texte rédigé par le préfet. Ils dénoncent aussi l’inégalité de traitement entre les grandes surfaces et les petits commerçants. Ils insistent sur le fait que les grandes surfaces peuvent vendre des produits considérés comme non essentiel, comme l’habillement, les parfums : « Ainsi un supermarché peut offrir l’ensemble des activités interdites notamment la vente de meubles, d’appareils électroménagers, de vêtements, de chaussures, de parfums de bijoux, d’horlogerie, voire des services …etc. Vous trouverez en suivant des clichés pris vendredi 14 mai et samedi 16mai dans la galerie d’un supermarché et sur son parking. Les supermarchés vendent donc des appareils Hifi et électroménager qui ne sont pas essentiels selon votre arrêté pendant que d’autres magasins vendant exactement les mêmes articles sont fermés. » Ils rappellent aussi que le confinement va toucher de plein fouet des commerces qui peuvent faire jusqu’à plus de 30 % de leur chiffre d’affaire annuel pour la fête des mères. Les commerçants parlent de choix arbitraires et demandent une rectification de la part de l’Etat. « Il y a une inégalité de traitement dans u ne période cruciale pour nous, même si c’est sur une courte durée. De plus il n’y a jamais eu de contamination dans nos petits commerces. Comment jugez cela pour une petite enseigne d’habillement qui respecte tous les gestes barrières avec le port du masque et le gel, alors qu’elle ne peut recevoir qu’une dizaine de client dans la journée… » gronde Nathalie Nouh-Chaia Vernet, présidente du Groupement des commerçants de Cayenne, qui a déposé le recours avec le Syndicat BHJO (Bijouterie, Horlogerie, Joaillerie et Orfèvrerie) présidé par Pascal Couprat, l’Union des Commerçants de l’Ile de Cayenne présidée par Françoise Gimel et la SARL TOUK CREA,d’Ysabel Nolf. Et les commerçants de demander « le remplacement du confinement par un couvre-feu plus strict et mieux encadré » .
La préfecture a organisé une rencontre avec le Medef, la CCI et des représentants de grandes surfaces hier après-midi, en présence du préfet, du secrétaire général de la préfecture ou encore du sous-préfet Daniel Fermon. A noter qu’une réunion a eu lieu hier après-midi en préfecture avec quelques unes des structures de commerçants, mais les associations qui ont déposé ce recours n’ont pas été conviées à cette rencontre.
Les commerçants dénoncent « une inégalité de traitement » et « l’illégalité » de l’arrêté pris par le préfet.
Le texte du recours :
Monsieur le Préfet, Par un arrêté en date du 13 mai 2021 portant mesures de prévention et restrictions nécessaires pour lutter contre la propagation de la Covid 19 dans le département de la Guyane, vous avez décidé le confinement partiel de la Guyane pour 15 jours. Cet arrêté comporte un article 22 consacré à la durée. L’arrêté est entré en vigueur le 14 mai à 00H01 minute et expirera le 30 mai à 24H. Figure aussi un document sous forme de liste intitulée « Annexe Activités commerciales autorisées ». Pièce 1: Annexe Activités commerciales autorisées. Nous avons l’honneur de vous demander l’annulation de l’article 22 de l’arrêté en tant qu’il s’applique à nos commerces. Nous vous demandons aussi le retrait du document intitulé « Annexe Activités commerciales autorisées ».
I) Sur notre qualité pour agir : Nous sommes des syndicats et associations de commerçants et commerçants à titre individuel. Nous défendons les intérêts moraux de nos adhérents mais aussi nos commerces et nos salariés. Ainsi le Groupement des Commerçants de Cayenne regroupe 50 commerçants. L’Union des Commerçants de l’Ile de Cayenne 40 adhérents. Le syndicat BHJO regroupe 10 adhérents. Tous nos adhérents ainsi que nous-mêmes nous trouvons directement affectés par notre exclusion l’annexe « Activités commerciales autorisées ».
II) Sur le doute sérieux sur la légalité de la décision : L’arrêté du 13 mai 2021 comporte un article 12 ainsi rédigé. « Commerces et carbets de la Guyane. 1- Les commerces autorisés à recevoir du public en application de l’article 37 du décret du 16 octobre 2020 susvisé doivent respecter les règles d’hygiène et de distanciation physique dites «barrières « prévues à l’article 27 du même décret. 2- Les commerces autorisés ferment leur établissement au public au plus tard à 18H30 afin de permettre aux clients de respecter la mesure d’interdiction de circulation prévue à l’article 2. A l’exception des pharmacies et stations-services ». Il s’agit de l’unique article consacré aux commerces. Il sera relevé que cet article ne fait aucune référence à une quelconque annexe. Il renvoie à l’article 37 du décret N° 2020-1262 du 16 octobre 2020 lequel se borne à définir la notion de centre commercial et les conditions de sa fermeture. 3 En effet, cette disposition prévoit que : « Les établissements recevant du public relevant du type suivant défini par le règlement pris en application de l’article R. 123-12 du code de la construction et de l’habitation ne peuvent accueillir du public que dans le respect des conditions prévues au présent article : – établissements de type M : Centres commerciaux. II. – Les établissements mentionnés au I ne peuvent accueillir un nombre de personnes supérieur à celui permettant de réserver à chacune une surface de 4 m2. En outre, lorsque les circonstances locales l’exigent, le préfet de département peut limiter le nombre maximum de personnes pouvant être accueillies dans ces établissements.
III. – Lorsque les circonstances locales l’exigent, le préfet de département peut, après avis du maire, interdire l’ouverture d’un centre commercial comprenant un ou plusieurs bâtiments dont la surface commerciale utile cumulée est supérieure ou égale à 70 000 m2 et qui, du fait de son implantation dans un bassin de vie fortement peuplé et de sa proximité immédiate avec une gare desservie par plusieurs lignes de transport ferroviaire ou guidé et de transport public régulier de personnes routier, favorise des déplacements significatifs de population. Cette interdiction ne fait pas obstacle à l’ouverture, au sein de ces centres commerciaux, des commerces de détail pour les activités relevant de la liste figurant en annexe 3. Pour l’application du précédent alinéa, on entend par centre commercial tout établissement comprenant un ou plusieurs ensembles de magasins de vente, et éventuellement d’autres établissements recevant du public pouvant communiquer entre eux, qui sont, pour leurs accès et leur évacuation, tributaires de mails clos. L’ensemble des surfaces commerciales utiles sont additionnées pour déterminer l’atteinte du seuil de 70 000 m2, y compris en cas de fermeture de certains mails clos ou d’organisation indépendante des accès et évacuations des bâtiments ». 1° S’agissant du document appelé « « Annexe activités commerciales autorisées ». Cette annexe répertorie les activités commerciales autorisées. Elle exclut par voie de conséquence celles non autorisées. Cette annexe ne repose sur aucun fondement légal ou réglementaire. Elle ne fait aucune référence à l’arrêté du 13 mai 2021 de telle sorte qu’il n’est pas possible de la lier juridiquement à l’arrêté. Cette annexe n’est ni signée, ni datée. Il n’est donc pas possible de connaitre son auteur, ni de vérifier la compétence de ce dernier ratione temporis , ratione matéria et ratione loci. Dès lors, soit elle n’est pas décisoire et n’a aucune valeur juridique. Soit elle est décisoire mais illégale. En effet, cette annexe est entachée de plusieurs illégalités. 4 Elle méconnait l’article L211-2 du Code des relations entre le public et l’administration qui stipule que : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; 2° Infligent une sanction ; 3° Subordonnent l’octroi d’une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; 5° Opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ; 6° Refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir ; 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l’un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l’article L. 311-5 ; 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d’une disposition législative ou réglementaire » L’annexe en cause restreint la liberté publique d’entreprendre et constitue une mesure de police. Elle aurait doit être motivée. Elle doit donc comporter les considérations de droit et de fait qui la fondent. Elle viole aussi l’article L.211-3 du CRPA qui prévoit que : « Doivent également être motivées les décisions administratives individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement ».
Force est donc de constater que l’annexe ne comporte aucune motivation propre. Elle ne peut non plus être considérée comme motivée par référence à l’arrêté du 13 mai 2021 puisqu’elle n’y fait aucune référence. L’arrêté ne fait aucune référence à l’annexe. Il s’agit donc de deux actes distincts sans aucun lien juridique entre eux. Chacun d’eux aurait dû être motivé de manière spécifique. Or, cette annexe fixe une liste arbitraire d’activités commerciales autorisées sans en justifier les raisons. Notamment, elle autorise les supermarchés à vendre sans aucune restriction. Ainsi un supermarché peut offrir l’ensemble des activités interdites notamment la vente de meubles, d’appareils électroménagers, de vêtements, de chaussures, de parfums de bijoux, d’horlogerie, voire des services …etc.
(…)
Dans ces conditions, l’annexe non signée intitulée « Annexe Activités commerciales autorisées » ne comportant aucune référence à l’arrêté du 13 mai 2021, ni à aucun texte légal ou réglementaire, non datée, non motivée et ne précisant pas les critères d’essentialité qui la justifieraient est illégale. Dès lors, soit cette annexe n’a aucune valeur juridique et elle ne peut dès lors pas fonder les décisions de fermeture des commerces exploitant les activités commerciales exclues, soit elle a une valeur juridique et dès lors elle est illégale. 2°S’agissant de l’article 22 de l’arrêté qui fixe sa durée d’application à 15 jours entre le 14 mai et le 30 mai. Cette durée de 15 jours ne fait l’objet d’aucune motivation dans l’arrêté. Il s’agit d’une durée arbitraire. Cette mesure est au surplus impopulaire et totalement inadaptée. La Guyane a déjà éprouvé d’autres mesures de freinage qui ne détruiseent pas l’économie tout en préservant la santé publique. Un couvre feu plus strict et mieux contrôle a permis à la Guyane de sortir de la seconde vague avec des conséquences moins dramatiques pour l’économie. Nous vous demandons donc de mettre fin au confinement et de le remplacer par un couvre – feu plus strict et mieux contrôlé. De plus, l’arrêté ne comporte aucune motivation sur la durée retenue. Il est totalement muet sur ce point. Cette durée ne fait l’objet d’aucune explication. L’article 22 de l’arrêté est illégal. Reposant sur des motifs étrangers à la préservation de la santé publique, il est entaché de détournement de procédure et de détournement de pouvoir. Nous vous demandons de ne pas en faire application à nos commerces pendant la période de 15 jours. Tant l’article 22 de l’arrêté que l’annexe méconnaissent la liberté d’entreprendre ( liberté de valeur constitutionnelle consacrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision loi de nationalisation du 16 janvier 1982 que le principe d’égalité devant la loi et devant les charges publiques consacré par l’article 1er de la constitution. Le Conseil Constitutionnel a en effet jugé que : « 20. Considérant que l’appréciation portée par le législateur sur la nécessité des nationalisations décidées par la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ne saurait, en l’absence d’erreur manifeste, être récusée par celui-ci dès lors qu’il n’est pas établi que les transferts de biens et d’entreprises présentement opérés restreindraient le champ de la 10 propriété privée et de la liberté d’entreprendre au point de méconnaître les dispositions précitées de la Déclaration de 1789 » ; Or, le Groupement des Commerçants de Cayenne regroupe 50 adhérents. Chaque commerçant réalise environ 30% de son chiffre d’affaire annuel pendant la fête des mères. Cette perte ne pourra pas être compensée par le montant très faible alloué par l’Etat d’autant que le chômage partiel n’est indemnisé qu’à hauteur de 60%. Le Syndicat BHJO (Bijouterie, Horlogerie, Joaillerie et Orfèvrerie) regroupe une dizaine d’adhérents. L’Union des Commerçants de l’Ile de Cayenne regroupe 40 commerçants. La perte est estimée à 35% du CA. Au total ce sont plus de 100 commerçants qui vous adressent la présente demande. Or, ces commerçants qui ont énormément souffert de la pandémie en 2020 et début 2021 ont procédé à des commandes pour la fête des mères prévue le 30 mai. Les achats commencent en début de semaine, soit le 23 mai. Les activités exclues de l’ouverture subissent un préjudice financier grave et immédiat de nature en entrainer leur cessation de paiement. Ces commerces bénéficient de délais de paiement de 30 à 40 jours mais doivent payer l’octroi de mer dès la livraison. Toute leur trésorerie a été consommée par le paiement de l’octroi de mer. Ces commerçants dont les intérêts moraux sont représentés par les syndicats requérants ne pourront pas assumer le paiement des marchandises qui resteront invendus. La situation est d’autant plus grave que la Guyane vit à un rythme ralenti pendant les deux mois d’été en raison des départs en vacances. Les prochaines ventes ne pourront pas avoir lieu avant la période de noël et du jour de l’an, soit dans 7 mois. Les entreprises n’en survivront pas. S’agissant de l’atteinte à l’égalité des citoyens devant la loi. Ce principe découle de l’article 1er de la constitution qui stipule que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. L’article 22 de l’arrêté et l’annexe violent le principe d’égalité devant la loi qui est un principe constitutionnel. En effet, rien ne justifie que des activités soient exclues alors que des centres commerciaux qui attirent beaucoup plus de clients sont autorisés à ouvrir. En conséquence, nous vous demandons de ne pas faire application de l’annexe intitulée « Activités commerciales autorisées » pendant la période de 15 jours visée à l’article 22 de l’arrêté du 13 mai 2021 sauf à les neutraliser juridiquement. 11 Nous vous demandons aussi de remplacer le confinement de 15 jours par un couvre-feu plus strict et mieux contrôlé notamment le week-end. Veuillez croire, Monsieur le Préfet, en l’expression de notre parfaite considération