Au deuxième et dernier jour d’une grève lancée pour « sauver la médecine de terrain », le Dr Jacques Breton, président de l’Union régionale des professionnels de santé et des Médecins en Guyane, dresse pour Mo News un état des lieux de la profession. « Dans 5 ans, on risque de perdre à peu près la moitié de nos médecins » assure-t-il. Entretien.
À l’appel d’un jeune collectif nommé « Médecins pour demain », les médecins libéraux sont en grève depuis jeudi 1er décembre. Ils veulent faire pression sur le gouvernement, à quelques semaines des négociations de la future convention de l’Assurance-maladie (qui doit entrer en vigueur en 2023), pour faire doubler le prix de leurs consultations, qui passeraient de 25 à 50 euros. La moyenne européenne du tarif de consultation avoisine les 45 euros.
Quel est le sens de votre mobilisation en Guyane ?
La sécurité sociale veut imposer des règles supplémentaires, mais nous sommes de moins en moins nombreux et les médecins de France sont les moins payés des 27 pays européens. Pour un pays qui est riche, ça fait un peu désordre. On a un petit peu les mêmes problématiques que les policiers ou les magistrats. Le mouvement a été lancé par de jeunes médecins qui ne sont même pas syndiqués. 11 000 médecins ont signé une pétition pour doubler purement et simplement le prix de la consultation. Ce qui revient à arriver tout juste au niveau moyen européen. Ce n’est pas du tout quelque chose d’extraordinaire.
Pourquoi ce mouvement démarre-t-il à cette période de l’année ?
Il faut savoir que la médecine est la première profession de France en taux de suicide, avant les policiers et les agriculteurs. Le très gros risque qu’on pourrait rencontrer, surtout avec les jeunes générations, c’est que les médecins suivent le même mouvement que les ingénieurs et les restaurateurs qui quittent la France. En Guyane, c’est particulier parce qu’on est la région de France qui a le moins de médecins. On en compte 170 alors que si on suivait les normes nationales, on devrait en avoir autour de 600. En Corse, pour une population presque égale, il y a environ 800 médecins. Pour rappel, ici, on a trois fois plus de diabètes et de maladies cardiovasculaires qu’au niveau national…
La médecine libérale se désertifie, quel état des lieux dressez-vous en Guyane ?
On tire encore plus la sonnette d’alarme à ce niveau-là. La population des médecins de ville est âgée. On a déjà perdu la moitié des médecins de ville à Saint-Laurent du Maroni et Kourou. Plus globalement, dans cinq ans, on risque de perdre à peu près la moitié de nos médecins. Pour qu’il y ait un renouvellement, il faut qu’on ait des conditions attractives. Ce qu’on demande, c’est qu’on soit aligné, par mesure d’égalité, avec les rémunérations du secteur public. On est la seule région de France où il n’y a pas de surrémunération équivalente. En Guadeloupe, en Martinique où à la Réunion vous avez cette surrémunération. La discussion doit s’engager avec l’appui, je l’espère, de tous nos élus. Sinon, dans très peu de temps, en 2023-2024, la situation de tension rencontrée par les patients pour voir un médecin va s’accroître.
Pensez-vous que seule la hausse des tarifs peut créer un « choc d’attractivité » ?
Quel que soit le métier, dès l’instant où vous payez les gens correctement, ils ne bougent pas ou ils viennent. Quand on vous dit que vous allez gagner deux fois moins en travaillant quatre fois plus, je peux vous dire que ce n’est pas hyper attractif. En tant que syndicaliste et président de l’URPS, je vous assure que le métier de médecin est passionnant. Mais si on dit qu’il faut s’asseoir sur les conditions de rémunération, on aura malheureusement du mal à attirer du monde. On mobilise de l’argent pour des tas de choses assez inutiles. En ce qui concerne la santé, quand il n’y a plus de médecins pour soigner en période post-Covid, ça peut devenir un peu gênant. L’Etat, les collectivités territoriales et les élus doivent prendre leurs responsabilités.
Le directeur général de l’Assurance maladie s’est engagé à revaloriser les tarifs des actes et des consultations. Les médecins ont répondu que s’ils n’étaient pas écoutés, ils appelleraient à une grève dure et illimitée à la fin du mois. Cette dernière sera suivie en Guyane ?
Ce sera davantage suivi en Guyane. Parce que nous sommes les plus déconsidérés de France. J’espère qu’on va trouver des solutions communes. On est à disposition des députés, des sénateurs, des élus de la CTG et des maires. Les médecins sont un petit peu les chefs d’orchestre du parcours de soin. Ça risque d’être la cacophonie si on ne nous met pas dans la boucle. Malgré tout le travail qu’on a, beaucoup de médecins sont investis, de tout temps, dans la santé publique. Je demande de l’aide, de l’assistance, du soutien de tous les gens qui ont du pouvoir décisionnel.
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